3 - Si vous ressassez une pensée

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Si vous ressassez une pensée en particulier, si vous imaginez ce que cela serait, vous émettez cette fréquence sur une base continue
John Assaraf

Petit matin, le soleil n'est pourtant pas encore levé à cette heure de janvier... et pourtant, tout ce que je vois s'éclaire d'une lueur qui semble me sourire !

Je marche d'un pas vif car la température est fraîche (certains diraient froide... mais ils n'ont pas ce feu en eux) et je me sens sourire en retour à celui de la nature.

Certes, je suis souriante, c'est d'ailleurs ce qui revient le plus souvent dans les paroles de mes amis «tu souris toujours»... oui, mais là, je souris toute seule... et ça, même pour mes amis, ce serait flippant...!

Même pour moi. Je réalise alors que ce qui me fait sourire, c'est la conviction que ce jour est le premier. Ou hier, était le dernier jour de la Michaëlla sage, bien gentille, et ne faisant pas de vagues.

J'en ai la certitude : les rêves se réalisent. J'y ai toujours cru... jusqu'à ce jour de classe...

J'avais 11 ans, fin de première année de collège. Au cours d'une récréation, l'une de mes copines vint me trouver, les yeux rougis. Nous n'étions pas très proches à l'époque. Elle me raconta avoir rêvé la semaine d'avant qu'elle continuerait d'habiter dans sa maison... mais que le jour-même, au dîner, ses parents lui avaient annoncé qu'ils allaient déménager dès les vacances arrivées.

Je ne comprenais pas comment cela avait pu lui arriver. Je lui posais alors plein de questions sur son rêve. Avait-elle vraiment rêvé de rester dans sa maison ? Était-elle certaine que c'était SA maison, sa maison actuelle ? Oui, elle me donnait des détails de son rêve, et même, du fait que nous étions devenues amies et que je passais la prendre pour aller en classe, dans son rêve.

Elle était tellement triste, et moi, j'étais en ébullition : comment se faisait-il que le lendemain de son rêve, ses parents puissent lui apprendre qu'ils allaient partir ? C'était contraire à toute règle !

Je lui répétais du haut de mes 9 ans, que ce n'était juste pas possible, soit elle avait rêvé d'une autre maison (mais elle m'affirmait avec entêtement que ce n'était pas le cas), soit ses parents s'étaient trompés ! Je ne voyais que cela comme possibilité !

Mon insistance commençait à l'agacer. Elle était venue à moi pour me confier sa tristesse, et enfin de compte, le fait que nous pourrions être amies. Mais moi, je n'ai pas vu ça... je butais juste sur le fait que son rêve ne se réalisait pas, et que ce n'était juste pas possible.

Elle s'est mise à pleurer, puis à me crier dessus comme quoi je ne comprenais rien, et que les rêves étaient nuls, et qu'on s'en fichait totalement puisque ce n'étaient que des rêves !

« Comment ? QUE des rêves ? Mais non, les rêves se réalisent tous ! » lui répondis-je.

Et, comme notre altercation avait dû en intéresser plus d'un... tous ce sont mis à se moquer de moi... à me traiter de bébé qui croyait aux rêves, qui croyait aux fées et aux princes. Et les nouvelles se répandant rapidement dans un collège... j'ai donc été, pendant les 3 ans suivants, la fille qui croit que ses rêves se réalisent, ou plutôt, l'idiote qui croit encore que les rêves se réalisent...

Même les professeurs l'avaient appris, et l'un de mes professeurs de 4ème avait même passé l'année à m'appeler la « rêveuse »... « alors, qui va passer au tableau corriger cet exercice ?... La rêveuse ! Au tableau ! » et toute la classe pouffait...

J'ai beaucoup pleuré cette année-là, et tant d'autres ensuite.

Pleuré car j'étais mise à l'écart et parfois, cela me faisait tellement de mal, mais en même temps, comme le disait Alexandre Le Grand « Ce qui ne me tue pas, me rend plus fort », cela m'a rendue plus forte.

N'ayant pas d'amis, j'ai passé toutes les récréations à lire. Les livres sont devenus mes meilleurs amis. Avec leur personnages, je vivais d'autres vies, dans d'autres pays, d'autres époques. Alexandre Le Grand, justement, a été l'un de mes personnages favoris un temps. Ce jeune homme qui a su donner de l'espoir à ses hommes et que ses hommes admiraient. Je lisais à travers les lignes, essayant de ne pas rester au niveau simple de l'histoire, mais d'en tirer des conclusions pour mieux connaître les humains, les relations entre humains.

Et puis, je lisais des revues scientifiques. J'ai des parents incroyables qui ont toujours compris ma curiosité et qui ont toujours tenté de l'assouvir. J'ai donc été abonnée à «Sciences et Avenir », « La Recherche » et bien entendu, la merveilleuse et regrettée « Revue du Palais de la Découverte ».

Plus je lisais, plus j'apprenais, plus je découvrais les merveilles de la physique, des molécules, des étoiles, du corps humain, des animaux, et plus je savais que ma vie serait dédiée à la recherche. Je me voyais plutôt physicienne, tellement les physiciens du début de XXème siècle, leurs découvertes, leurs correspondances m'ont passionnée. Et là encore, dès que je partageais mon amour pour ce métier, les ados me renvoyaient aux rêves et aux particules... « Ah oui, toi, tu planes toujours ! Les rêves, la poudre magique ! »

J'ai su ensuite distinguer les idiots des jaloux, les méchants volontaires des ignorants suiveurs. Ou pas.

Encore maintenant, je suis plutôt du genre « Le monde est beau, tout le monde il est gentil »... mais les blessures s'accumulent au fil des ans...

En tous les cas, depuis ce jour, et tous les jours depuis, j'ai découvert que les rêves des autres ne se réalisent pas, que les autres ne croient pas à leurs rêves (et peut-être ont-ils raison), et que je suis peut-être seule à le penser et à le vivre...

Mais pourquoi ? Qu'est-ce que mes rêves (pas tous mes rêves, seulement ceux dont je me souviens au réveil) se réalisent-ils toujours et pas ceux des autres ?

Ces questions ont donc orienté mes études et ma vie. Je suis devenue neurologue. Chercheuse. Pas encore « trouveuse ». Ou plutôt si... nous avons fait avancer la connaissance des processus de certaines fonctions du cerveau, grâce, il faut le dire, aux découverte d'ingénieurs merveilleux qui savent nous construire de nouveaux détecteurs... mais jamais je n'ai pu seulement partager avec aucun de mes collègues et amis, le seul, l'unique thème de recherche qui me tient à coeur : prouver que les rêves se réalisent... enfin... en tous cas, les miens... et plutôt... trouver ce que mes rêves ont de particulier pour se réaliser, alors que ceux des autres ne se réalisent pas.

Et si je trouve, alors, pourquoi ne pas en faire profiter les autres ?

Rien ne m'horripile le plus qu'un patient insomniaque, qui déprime et me dit que «les rêves ne se réalisent pas, et qu'il n'a pas de chance». Que ce ne sont «que» des rêves. Rien ne m'agace plus, que l'une de mes amies en crise qui va me sortir que l'homme de ses rêves ne viendra jamais... Mais si !... enfin... si elle le rêvait vraiment !

J'ai la conviction qu'ils ne se réalisent pas pour eux, simplement parce qu'ils n'y croient pas ! Parce qu'ils ne rêvent pas en fin de compte ! Quand on rêve vraiment : c'est réel ! Pourquoi est-ce que les enfants nous racontent-ils leur rêve avec des étoiles dans les yeux : c'est parce qu'ils ont vécu dans leur chair le rêve qu'ils viennent de faire !

Les adultes bien pensants, croient les rassurer en leur disant avec mépris ou condescendance que «ce n'était qu'un rêve». Et alors, avec le temps, la répétition de cette simple phrase «ce n'est QUE un rêve»... Et on se retrouve, des années plus tard, avec des adultes qui n'y croient plus, et pire encore, qui n'osent même plus rêver !

Combien de personnes se rappellent-ils de leurs rêves ?

Combien, sur ce petit nombre de personnes, y en a-t-il pour y croire ?

J'ai dans l'idée de faire rêver un panel d'étudiants (puisque mon laboratoire se trouve dans l'Université) et de faire un véritable travail de recherche sur la façon de «bien» rêver. De faire des comparatifs d'ondes avec les miennes. J'ai dans l'idée de faire un appel général mondial, en ligne, pour trouver les personnes, comme moi, dont les rêves se réalisent. Je ne dois certainement pas être la seule.

J'aimerais pouvoir trouver un moyen d'aider le monde à rêver comme moi, et alors, les rêves se réaliseraient.

Mais je dois d'abord trouver les crédits de recherche... et hors de question de parler de rêves car alors, finie ma carrière ! 1. Enveloppe budgétaire 2.... on fonce !

Au bout du rêveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant