Chapitre 7

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Nymphe enlevée par un faune, Alexandre Cabanel

Sandro

Je rentre à l'appart sur les coups de 22h.

Après la journée de cours, j'ai flâné dans le parc Charles Bosson qui offre une assez jolie vue sur le lac. Il s'agit d'un lieu arboré et fleuri prisé des touristes et des locaux, mais pas autant que les Jardins de l'Europe qui se trouvent à deux pas du vieux centre d'Annecy. J'avais envie de crayonner le gigantesque hôtel-casino à la façade immaculée, l'Impérial Palace, ainsi que les oiseaux de la volière. Évidemment, je les ai représentés à ma sauce sombre. Dans mes esquisses, l'édifice classieux ressemble à un manoir hanté délabré qui avale les visiteurs venus jouer aux machines à sous pour les recracher sous forme de squelettes de pigeons. Saignés à sec, les abrutis. Quant aux vrais volatiles enfermés dans des cages, je les ai pourvus de dents pointues, de becs tordus, de plumes noires et d'yeux carnassiers. Ils s'apparentent à des bêtes déchues, bien plus attractives sous cet aspect.

Je tenais aussi à assister au coucher du soleil sur le lac avec mon joint de cannabis et ma bouteille de bière. À moitié allongé dans l'herbe, je me suis mis à rêvasser sans tenir compte des gens qui évoluaient autour de moi. Une petite vieille rachitique qui promenait son clebs a louché sur mon bédo d'un air scandalisé qui m'a extorqué un ricanement. Je lui ai tendu mon bâtonnet de marijuana avec un sourire séducteur et la mémé a pressé le pas en tirant sur la laisse de son chien pour s'éloigner au plus vite de la sale graine de voyou que je suis. Qu'elle aille se faire enculer à sec par son cabot !

Mes jumeaux ont du mal à piger, mais je suis attaché à ma solitude comme un loup hargneux qui ne voudrait pas se mêler trop souvent à sa meute. 

OK, à l'heure actuelle, je pourrais difficilement vivre sans Raph et Andrea, car ces fils de pute sont ma famille. On n'est pas la Trinità pour rien. Cependant, je raffole de ces moments loin d'eux, qui n'appartiennent qu'à moi. Ces têtes de cul ont tendance à être très envahissants et intrusifs. Ils se mêlent de tout en permanence. Même si je les aime, je profite des instants égoïstes où je peux glander en solo et gamberger sur mes jardins secrets.

Avant de franchir le seuil de l'appart pourri et mal isolé qu'on partage depuis des années, je sais déjà que mes deux frangins vont me harceler de questions et me gaver. Et ça ne manque pas... La porte est à peine refermée que la voix bourrue de Raph s'élève dans la cuisine :

— Putain, mais t'étais où, petit couillon ?

— Sandro, on commençait à s'inquiéter, tu nous as donné aucune nouvelle de la journée ! ajoute Andrea, vautré sur le canapé taché, une tranche de pizza flasque à la main.

— Je n'ai pas de comptes à vous rendre, répliqué-je avec froideur en retirant ma veste en cuir, excédé par leur paternalisme déplacé.

— Un SMS t'aurait pas tué ! gronde Raphaël en me mitraillant de ses yeux iceberg.

— Tu l'as échappé belle, Sandro, Raph se tâtait à appeler tous les hostos et les morgues de la région. Et ne t'avise plus de découcher sans nous prévenir comme l'autre jour, il n'en a pas dormi de la nuit, jacte Andrea.

Ouais, j'en ai entendu reparler le lendemain. Je me suis coltiné une leçon de morale collector.

— Sérieux, vous faites chier, dis-je en me laissant tomber sur le canapé près d'Andrea.

Un gémissement féminin provenant de la télé capte mon attention. Ils sont en train de mater un film de cul, les bâtards. Deux lesbiennes se roulent des galoches baveuses en se masturbant mutuellement.

Nos jeux clairs-obscurs (publié chez Black ink éditions)Where stories live. Discover now