Absence

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     Depuis l'épisode dans son bureau, Jason n'a plus de nouvelle de Thelxinoé. Voilà deux jours qu'il n'a plus de contact avec elle, ne sachant même pas si elle va bien.

     Il se lève ce matin-là avec la mine soucieuse et rejoint la cuisine pour avaler un croissant sans saveur et un fond de café froid. Ses deux filles se lèvent et l'embrassent, jetant des regards étranges à leur père qui ne leur accorde pas plus d'attention. Judith arrive à son tour, une expression anxieuse figée sur son visage. Elle a remarqué le déclin de son mari, sa lente chute dans une dépression qu'elle ne comprend pas. Elle a tenté de lui tirer les vers du nez, de concevoir la raison de son trouble, ce qui semble tant le miner. Elle a déployé des trésors de patience et de prévenance afin de lui remonter le moral. En vain hélas, Jason se révélant totalement hermétique à ses attentions, refusant de s'ouvrir à elle. Judith ignore qu'il ne le peut pas et ce manque de réponse la fait souffrir. Elle se pose mille questions, se demandant si elle est la cause de l'état de son époux.

     Jason refuse une fois de plus la main tendue de sa femme, ainsi que sa proposition de ne pas aller travailler afin de passer la journée ensemble, en famille. Judith est persuadée que c'est la promotion dont il lui parle depuis quelques semaines qui le stress, le poussant jusqu'au burn-out. La situation lui est insupportable, elle est bien décidée à se rendre à la banque voir le directeur s'il ne l'obtient pas, arguant que son mari est un homme honorable, aussi dévoué à sa famille qu'à son travail et que ne pas lui offrir un nouveau poste est totalement inadmissible. Elle est bien déterminée à rendre à Jason ce qu'il lui donne depuis toujours, lui prouver sa reconnaissance et son soutient indéfectible. Elle sait que cela le touchera.

     Accablé par l'incertitude, Jason part de la maison avec un vague au-revoir à ses petites et un baiser sur la joue de Judith. Il n'a pas le goût de conduire et appelle un taxi, sans grand succès, jusqu'à ce qu'une voiture jaune finisse par daigner ralentir et l'emmener à son purgatoire personnel, ce travail ingrat dénué de sens à ses yeux et qui ne lui offre nulle joie. Quelle idée stupide de faire un boulot uniquement pour de l'argent. Il s'y fait royalement chier depuis des années.

     « Pas des années, depuis toujours », corrige-t-il intérieurement.

     Il règle sa course et pénètre l'antre du Mal Absolu. Cet endroit stérile et on ne peut plus froid, ce lieu empli de zombie comme lui, effectuant les mêmes tâches rébarbatives jours après jours. Il se fait l'effet d'un charognard, un vautour becquetant le cadavre boursouflé d'un animal crevé en plein soleil. Lui-même ne sert à rien, son emploi ne sert à rien. Il n'aide personne, et surtout pas lui-même. Tout ce qu'il désire il le sait, c'est être avec Thelxinoé. Pourquoi pas devenir pêcheur et sillonner les eaux de son pays natal ? Il est certain qu'elle adorerait ça. Une telle chose lui plairait, il le sait. La jeune femme qu'il a apprit à connaitre est une personne simple, une telle existence ne peut que la ravir.

     Il lui envoie un énième message pour lui exposer son idée et il s'installe à son bureau afin d'achever son infâme besogne quotidienne. Il s'y attelle sans le moindre plaisir, ne ressentant qu'une profonde lassitude qu'il ne parvient pas à combattre et qu'il ne peut surmonter. Elle l'a déjà vaincu par K.O, il est à terre et écrasé par cet effroyable adversaire. Son téléphone vibre si fort qu'il se déplace légèrement sur le bureau, sans doute porteur d'un glorieux message de sa muse. Fébrile, il déverrouille son portable pour découvrir un stupide message publicitaire. De rage autant que de désespoir, il fracasse le téléphone fixe de son bureau contre le sol.

     « Thelxy bon Dieu, qu'est-ce que tu fou ?! » s'inquiète-t-il avec tristesse.

     Le reste de la matinée n'est qu'une procession interminable de chiffres ayant perdu toute signification. Il attend l'heure de midi avec impatience et s'élance dans Central-Park avec l'espoir de l'apercevoir. Il arpente les chemins qu'ils ont prit l'habitude de parcourir bras dessus-dessous et n'aperçoit sa silhouette nulle part, pas plus qu'il n'entend sa divine voix percuter ses oreilles. Il continue durant près de trois heures, visitant le lac bordé de saules pleureurs à maintes reprises, désirant à chaque fois la trouver assise sur le banc à l'attendre en lui jetant un regard clair de ses yeux de biche. Peine perdue, elle n'est pas là. Il erre encore quelque temps, tel un spectre arpentant un monde autrefois familier qui lui semble à présent dénaturé. Un seul être vous manque et tout est dépeuplé, voilà qui correspond parfaitement à l'état d'esprit de Jason. Il se sent atrocement seul avec lui-même, accompagné uniquement par le vide béant de la solitude.

     Un éclair de lucidité le transperce et il décide sur un coup de tête de se rendre à la boutique où officie Thelxinoé. À son arrivée, il découvre la boutique close, fermée par un lourd rideau de fer. Il ne comprend pas ce qu'il se passe et élabore divers scénarios, avant de les écarter d'un geste de la main. Non, elle est sans doute malade, clouée au lit et dans l'incapacité de lui répondre. C'est surement cela, il reviendra demain et le surlendemain s'il le faut.

     Il retourne jusqu'à son bureau d'un pas traînant, bien trop préoccupé par l'inquiétant silence de celle dont il est follement épris. Ce n'est pas son corps ni son visage qui lui manquent le plus, non, c'est sa voix. Le son qu'émet ses cordes vocales lorsqu'elle lui parle, quand elle lui murmure des mots doux, au moment où elle chante ses étranges mélodies sans paroles.

     Il pénètre dans la banque et son supérieur vient le trouver, visiblement furieux.

     « Des emmerdes, manquait plus que ça », songe-t-il en l'écoutant beugler à propos de l'heure à laquelle il arrive.

     Jason lève les yeux et avise l'immense horloge ornant le hall. Seize heures, c'est effectivement un peu tard pour débuter son après-midi. Il subit en silence les remontrances et apprend que le « big boss » veux le voir immédiatement. Sans doute a-t-on découvert le téléphone brisé dans son bureau. Le directeur hurlerait sans doute sur lui, l'obligeant à rembourser le matériel en le mettant en garde contre une telle conduite.

     Serrant les dents, il se prépare à une entrevue détestable. Peut-être l'enverrait-il chier ce salopard imbu de lui-même.

ThelxinoéDove le storie prendono vita. Scoprilo ora