Rencontre

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     Jason est exténué mais heureux. Il vient de passer une journée harassante à batailler bec et ongles afin de décrocher un riche client pour sa banque. Il sait que son labeur va lui rapporter un gros bonus ainsi que le respect de ses pairs. Son épouse ne manquera pas de s'en trouver ravie, elle aura une raison de pérorer auprès des dames de leurs amis communs. Elle le félicitera chaleureusement comme il le mérite, puis une fois ses deux petites filles couchées, il aurait droit à sa petite récompense dans la pénombre de la chambre à coucher.

     D'excellente humeur face à cette perspective enchanteresse, Jason décide de faire un détour par Central Park au lieu de prendre un taxi comme il a l'habitude de le faire d'ordinaire. La journée est radieuse et le temps estival, il désire en profiter pour s'aérer et décompresser. Après tout, il le mérite bien.

      Jason quitte les hauts buildings de Manhattan et s'aventure dans cet extraordinaire écrin de verdure. L'air y est plus pur et il respire à plein nez, emplissant ses poumons d'oxygène. Il ne passe pas inaperçu dans les allées avec son costume cravate sur mesure de haute facture et son attaché-case de luxe. Tout en lui hurle sa bonne situation, sa carrière florissante et une confiance en soi inébranlable. Les femmes se retournent pour admirer ce mâle somme toute charmant, avec sa coiffure impeccable et sa barbe taillée à la perfection, tandis que les hommes lui lancent des regards pleins d'envie, imaginant sa vie si trépidante et aisée.

     Ils ne savent pas à quel point ils ont tort. La vie de Jason n'a absolument rien d'excitante. Certes, il possède la dernière voiture à la mode, dîne dans les restaurants les plus en vogues et participe à des soirées mondaines où la haute société New Yorkaise aime tant à s'afficher. Il n'en peut plus des restaurants guindés dans lesquels un abrutit joue toujours du piano. Il ne supporte plus de prendre son gigantesque 4x4 qu'il ne parvient à garer nulle part. Il déteste ses putains de soirées chiantes à en crever passées à s'emmerder comme un rat mort, à gober des « bouchées » qui le laissent affamé alors qu'il doit sourire poliment en écoutant de sordides ragots.

     Jason hoche la tête afin de chasser ses sombres pensées. D'accord, sa vie n'a rien de palpitante, il est bien loin d'un Indiana Jones partant à la découverte d'un temple perdu au milieu de Dieu seul sait vraiment où, et alors ? Il ne manque de rien, possède une charmante épouse, deux adorables filles ressemblant à des poupées. Aucune raison de se plaindre au fond.

     Alors qu'il approche d'un petit lac, une mélodie l'interpelle. Un chant extraordinaire qui guide ses pas presque contre sa volonté. Le son est inédit, mélange de fraîcheur et de candeur qui ravive le feu de la passion qu'il avait pensé éteint. Il arrive à un attroupement de badauds, uniquement des hommes, tous trop occupés à contempler la source du chant merveilleux. Il joue des coudes afin de se frayer un chemin. Lui aussi veut absolument voir qui possède une voix pareille. Il parvient à fendre la foule et découvre la plus belle vision de son existence.

     Devant lui se dresse une femme magnifique à la chevelure brune et aux lèvres pleines. Le temps semble suspendre sa course lorsqu'il contemple ses yeux verts à l'éclat étonnant. Sa voix s'insinue au plus profond de lui et lorsqu'elle croise finalement son regard il se sait irrémédiablement attiré par elle. Le chant s'achève et nul ne bouge, tous la contemplent sans un mot, attendant de savoir ce que va faire la belle. Elle offre un sourire timide et adorable à l'assistance tout en ramassant son panier en osier dans lequel repose de magnifiques roses. Jason a un éclair de compréhension. La voilà sa porte de sortie, le grain de folie capable d'égayer la monotonie de son existence rébarbative.

     La beauté s'éloigne après s'être légèrement inclinée devant l'assistance avec grande grâce. Jason la regarde s'éloigner à regret et une pensée tourne en boucle dans sa tête.

      « Et si je ne la revoyais jamais ? »

     Il remarque qu'une des roses tombe du panier et se précipite pour la ramasser avant de l'interpeller avec toute la galanterie dont il est capable. Faire bonne impression, c'est tout ce qui compte en cet instant terrible où il se sait sur la balance. Si elle le repousse, s'en est fini de son grand rêve.

      La demoiselle se retourne, sa longue chevelure virevolte devant son visage lorsqu'elle remarque qu'il lui tend une fleur.

     — C'est pour moi ? minaude-t-elle avec un sourire plein de chaleur. Il ne fallait pas, vraiment !

     Il la regarde sans mot dire. Il sait qu'il pourrait l'écouter parler durant des heures, la contempler à longueur de temps. Elle se saisit de la fleur délicate et la dépose avec grande précaution au milieu de ses sœurs.

     — Merci, reprend-elle en lui offrant une révérence, tout en riant. Auriez-vous l'obligeance de me donner votre nom ?

     — Jason, lui répond l'homme avec assurance. Je me promenais lorsque je vous ai entendu chanter.

     La jeune femme rosit quelque peu.

     — Désolée pour ça, soupire-t-elle à mi-voix. Il m'arrive de me laisser aller lorsque je passe ici avant de me rendre à la boutique.

     — Dans quoi travaillez-vous ? demande Jason avec un peu trop de ferveur.

     — Je tiens une petite boutique sur la cinquième avenue. Je suis fleuriste.

     Jason vit là une occasion de se mettre en avant, d'appuyer sa position et de lui faire comprendre qu'il est un homme aisé.

     — Je suis cambiste au Centre Financier de la Banque d'Amérique.

     La jeune femme l'observe quelques secondes et passe une mèche de son incroyable chevelure à l'air si soyeuse derrière son oreille. Elle ne semble pas plus impressionnée que cela devant l'atout de Jason, qui sent que la situation lui échappe dangereusement lorsque la belle se détourne avec ostentation pour mettre un terme à la conversation.

     — Attendez ! l'appelle-t-il avec un brin de panique. J'aimerais beaucoup apprendre à vous connaitre. Pouvons-nous nous revoir ?

     La demoiselle l'étudie quelques instants et un sourire fleurit sur son visage angélique.

     — Pourquoi pas ? La boutique se nomme « Calliope » et possède une adorable devanture couleur émeraude. Venez me voir quand vous le voudrez Jason !

     Elle s'éloigne avant de se retourner et de lui adresser un petit geste de la main. Jason en profite pour détailler les courbes de son corps et s'arrête quelques secondes de trop sur ses fesses qu'elle a fort jolies. Un détail lui traverse l'esprit et il la hèle sur le champ, sachant que son ignorance l'empêcherait sans doute de dormir.

     — Attendez, je ne vous ai pas demandé votre nom !

     — Je m'appelle Thelxinoé, répond-elle avec un large sourire. Thelxy pour mes proches !

     Jason la regarde partir durant de longues minutes tout en roulant son nom sur sa langue.

     Thelxinoé... Un nom hors du commun, pour une créature qui l'est tout autant.

ThelxinoéTempat cerita menjadi hidup. Temukan sekarang