Chap XIV : Ce Qui Dévore Notre Amour I (2/4)

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Je me déplace. Je me positionne face aux portes des chambres respectives. Je me doute un tant soit peu de la pression que cela peut produire sur ces enfants, leur cadeau céleste. Si cela a de l'importance ? Je n'ai pas d'enfant. Je n'ai que des souvenirs fragmentés de mon passé et de mes géniteurs. Ce que je sais par contre, c'est que la vie est précieuse pour avoir perdu la majeure partie de ce qui façonnait mon moi. Si je les plains ? Je crois que tout est gérable du moment que l'on sait qui l'on est. Est-ce que leurs enfants se sont déjà forgé une personnalité ? C'est là qu'agissent les êtres et donc, si les parents ont échoué à bâtir ce fondement de toute évolution, c'est qu'ils sont bien plus égarés que je ne me l'imagine.

Je me retrouve devant la chambre du couple. J'ouvre la porte et tombe nez à nez avec des valises encore prête à donner l'ordre de replis. C'est un pan direct. Je me suis même posée la question si la femme connaissait tous les secrets de son mari. Évidemment, elle le sait.

Je m'assois sur une chaise dans le salon et observe les allées et venues de la maîtresse de maison : les passages à l'aspirateur, le repos devant le téléviseur, le téléphone touché plus de cinq cents fois. Des amis par dizaine, une main tendue pour prendre une capture qui se trouve vite publiée. Elle s'est connectée pendant quatre heures.

Je suis tombée à une nouvelle époque, décidément. Les informations de ce temps me parviennent petit à petit. Il me suffit de me plonger dans le canal pour m'imprégner progressivement de l'actualité.

Je l'accompagne des yeux jusqu'à sa chambre où elle se jette à corps perdu, harassée. Ses enfants sont dans des internats. Elle ne peut les téléphoner que le week-end. Il lui arrive d'avoir des excès de rage se manifestant par des coups donnés au lit, alors que des larmes dessinent déjà un visage grognant et se mordillant la lèvre inférieure. Son mari ne reviendra pas cette nuit. Elisa devra dormir seule dans son lit.

Le lendemain matin, l'ambiance n'est pas plus réjouissante. Un café vite avalé, une course effrénée pour récupérer un taxi, rue des Minimes, une arrivée en trombe, les cheveux soulevés quelque peu par le vent, mais se retrouvant rapidement rappelés à l'ordre. Une attente anxieuse dans les couloirs du bureau du psychiatre Macbell.

Des doigts échappant au contrôle, le tintement de l'aiguille rendant l'attente angoissante. Soudain, un appel. Elle se lève, pénètre dans le bureau modestement meublé. Je me poste près des étagères saturées de livres. Une envie me prend de consulter un de ses ouvrages. Cependant, je ne peux avertir le monde de ma présence.

Ce qui se dit à ce moment m'offre plus d'indice que je n'osais l'espérer. Je n'ai pas raccompagné Elisa chez elle. Je me suis lancée à la recherche de son mari, Dylan.

La gare me paraît un bon endroit pour se retrouver bien humidifié par l'alcool.

Lorsque je plonge dans le canal pour rejoindre le monde des humains sur terre, je suis comme dans l'océan. Je me dirige par la pensée à un endroit précis du globe. Dans le ciel, une ligne bleue me signale où se trouve mes cibles. Il me suffit de me concentrer et de me laisser téléporter vers ces derniers. Cela agit tel un frisson négligeable.

Dylan se trouve près de la gare du Midi. Je l'aperçois se faufiler pour quitter la place. Une foule immense s'élance vers l'intérieur tandis qu'une minorité en sort, tout bras occupé, soit par un écran, soit par une quantité de sacs. Je lis sur une montre 21 heures 15. Je marche les iris posés sur ma cible. Il emprunte la rue d'Angleterre.

L'homme titube. Il n'arrive que miraculeusement à se tenir debout, dirigé par son bon sens ou par ses habitudes. Un peu, je crois le voir tourner vers la rue de Mérode. Il y a un penchant psychologique que je ne comprendrai jamais sûrement, chez les humains. Cet intérêt pénible que l'homme a pour la liqueur.

Ce Que Tes Émotions Leur FontWhere stories live. Discover now