Onee-san

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Hors d'haleine, les deux renards échangèrent un regard – la fin était proche. Sous leurs pattes, ils pouvaient sentir la terre trembler, martelée par les sabots de leurs poursuivants. Le cliquetis des mors et le bruit des arcs qu'on bande résonnaient sinistrement à leurs oreilles.

Sans avoir besoin de se concerter, ils se séparèrent devant l'arbre mort où ils s'étaient accouplés le printemps précédent. L'un prit sur la droite, l'autre continua tout droit, chacun espérant que son compagnon survivrait. Les oreilles plaquées en arrière, concentrés sur le bruit des chasseurs, les deux renards agrandissaient à chaque foulée la distance les séparant.

- Sus au plus gros ! Il sera bloqué à l'éboulement !

Des cris d'assentiment accueillirent cet ordre et le groupe de chasseurs passa à droite de l'arbre mort.

L'autre renard courut une centaine de mètres encore avant de ralentir progressivement, puis s'arrêter. Les sens en éveil, museau au vent et oreilles tressaillant au moindre bruit, il resta un instant totalement immobile, humant l'air du sous-bois. Puis, tête et queue basse, il rebroussa chemin. Coupant à travers les fourrés, il se dirigea vers le groupe de chasseurs à pas de velours. Lorsqu'il les rejoignit, c'était déjà trop tard. L'un d'eux brandissait son compagnon à bout de bras, un rictus victorieux sur le visage.

- Touché à la première flèche ! C'est un bon présage pour l'omiai [1] !

Un concert de glapissements et de rires accueillit cette remarque. Depuis sa cachette, le renard survivant regarda le chef de meute des hommes lier la dépouille de celui qui avait été son compagnon à la selle de son cheval. Une rage meurtrière l'envahit à l'égard de ces êtres qui semaient la mort sans nécessité, rompant les règles de la forêt.

Un instant plus tard, les hommes s'éloignèrent au petit trot en devisant entre eux, inconscient du regard de métal en fusion qui les couvait avec intensité.


- Sai-sama, le thé est servi, l'informa la servante en s'inclinant.

L'interpellé ne réagit pas. Avait-il seulement entendu ? Les yeux perdus au dehors, il regardait les fleurs du jardin, plongé dans une profonde songerie.

- Sai-sama, insista la servante, tout le monde vous attend.

A regret, il s'arracha à sa rêverie et suivit la servante jusqu'à la pièce où l'attendait son père pour un omiai de plus. Avec courtoisie, il salua la jeune femme et son oncle, échangea quelques mots avec eux, puis se mura dans un silence morne. Une poupée de plus, sans caractère ni volonté. Et elle n'était même pas jolie... Jusqu'ici, il avait refusé toutes les prétendantes mais son père s'acharnait : « Tu es l'aîné, tu dois prendre femme et continuer la lignée... ». Sai étouffa le soupir qui lui venait aux lèvres. Comme il enviait sa liberté à Hikaru ! Non que la chasse l'attirât particulièrement... Sa passion allait plutôt à la poésie et au go, toutes choses jugées inutiles par son père qui s'inquiétait chaque jour un peu plus de son incapacité à gérer le domaine.

Des éclats de voix à l'extérieur le tirèrent de ses pensées maussades. Un instant plus tard, le panneau coulissa et l'un de leurs hommes s'inclina devant eux.

- Tomorasu-sama, cette demoiselle errait dans le jardin.

Il s'effaça et une jeune fille apparut derrière lui. Simplement vêtue d'un yukata bleu clair à la ceinture verte, les cheveux tressés, elle semblait sans intérêt et Sai s'en détourna rapidement.

- Sumimasen [2]. Je me suis égarée dans la ville en cherchant le temple et j'aurais aimé avoir un verre d'eau avant de poursuivre mon chemin.

Sans comprendre pourquoi, Sai sentit son cœur s'accélérer et reporta son attention sur l'inconnue. Elle avait une voix extraordinaire qui semblait contenir le chant du ruisseau et le bruissement des feuilles couvertes de rosées, l'éveil d'une fleur et le premier rayon de soleil... Jamais encore la voix d'une femme ne l'avait remué ainsi.

4 récits japonaisWhere stories live. Discover now