Lune de sang : La prophétie de l'orpheline

Chapitre 1

Fontevraud - 1710

Félicité s'avance dans ce long couloir qu'elle connaît par cœur pour se rendre dans le bureau de Catherine, plus rencontrée sous le nom de Mère Supérieure. Elle a tendance à oublier qu'aux yeux du reste du peuple de Fontevraud, elle habite dans un prieuré et que cela fait d'elle une Novice. Pourtant, tout cela n'est qu'une couverture.Toutes les « religieuses » sont en réalité des filles de Gaïa, de bonnes sorcières. Toutes ces femmes vivent selon leur Déesse Mère, souvent symbolisée parla lune, et par le Dieu Cornu, le soleil. Cependant, depuis la traque de Salem, la population a peur de tout, et en particulier de l'incompréhensible. Dès qu'un événement semble inexplicable,les gens du peuple accusent l'utilisation de la magie. Ça était le cas l'hiver de l'année précédente. Le froid a détruit de nombreuses récoltes, entraînant une famine comme personne n'a connu. Il est plus facile pour la société de prendre pour cible les filles de Gaïa plutôt que leur Dieu. Aujourd'hui, les habitants les cherchent, les pourchassent une autre fois. Les villageois les accusent d'être les responsables d'une nouvelle épidémie qui tue en très peu de temps : la variole. Depuis deux siècles,elles s'installent dans divers prieurés afin d'offrir la possibilité aux apprenties sorcières de pratiquer leur magie, sans mettre en péril leur secret.

Comme toutes les Novices, Félicité reste enfermée dans ce lieu, assiste à des cours sur l'histoire de sa communauté et tente de trouver au plus profond d'elle son pouvoir. À presque seize ans, il ne devrait plus tarder à se manifester. Pourtant, son cœur rêve d'aventure et ses pensées s'évadent vers d'autres endroits. Tandis qu'elle remonte le long couloir sombre et humide, Félicité heurte une épaule qui la ramène dans la réalité. Une voix hautaine l'interpelle sous l'attention d'un groupe d'apprenties d'une quinzaine d'années.

— Félicité, ne pouvez-vous pas regarder où vous mettez vos pieds ?

— Je suis navrée, s'excuse-t-elle tout en fixant le sol avant de reprendre sa route.

— Une petite question, avez-vous l'intention un jour de devenir une véritable sorcière ? Parce que là, j'en doute fort ! rit-elle accompagnée par les autres filles.

Élisabeth.

Tout chez elle appelle à la jalousie. Ses cheveux longs blonds encadrent un visage au trait délicat. Sa peau parfaite et sa taille fine font des envieuses parmi de nombreuses Novices. Et pour clore l'ensemble, c'est l'une des apprenties les plus prometteuses. Personne ne comprend pourquoi Mère Catherine place en elle de si grands espoirs. Certes, elle a manifesté sa magie de façon précoce, mais son comportement ne correspond en aucun cas à l'attitude d'une fille de Gaïa.Bienveillance, altruisme, entraide sont l'opposé même de cette jeune fille. En particulier lorsqu'elle croise Félicité sur sa route. L'apprentie timide ne l'affronte jamais et la laisse rire.

Félicité continue son chemin en les ignorant. Elle ne saisit pas cette volonté de se moquer d'elle tous les jours. Elle sait qu'elle ne révèle passes pouvoirs aussi rapidement que les autres, qu'elle ne développe aucune affinité avec un élément comme elle le devrait. Chaque fois, elle essaie de tout son cœur l'exercice, mais, hélas, sans y parvenir. Elle se demande si elle fait réellement partie de ce monde et si sa place ne se situe pas ailleurs. C'est dans ces moments-là qu'elle s'imagine la vie en dehors du couvent. À son grand regret, personne ne quitte ce lieu sacré. Les sœurs produisent leur propre nourriture dans les jardins et vivent avec le strict minimum. Leur lien avec la nature leur permet de récolter en quantité suffisante, en toute saison. Si pour une raison ou une autre l'une d'elles nécessite d'aller au village, seule une sorcière âgée peut s'y rendre, après l'accord de la représentante du prieuré. D'après certaines légendes, si l'âme de la fille de Gaïa n'est pas suffisamment préparée, elle risque de se faire corrompre par le Démon et causer la perte de sa communauté.