Prologue

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Billerica— 1695



Bien que le procès de Salem se soit terminé depuis trois ans, la peur est toujours présente dans le petit village de Billerica. Il faut dire que cette communauté a perdu beaucoup des siens pendant la chasse aux sorcières. Des parents, des enfants, des voisins. Chaque habitant a connu une personne exécutée, si ce n'est plus. Depuis, tous les résidents restent enfermés chez soi une fois la nuit tombée et prient un Dieu ou une Déesse pour que cette période demeure loin derrière eux à présent. Seul le bruit de la nature règne sur ce village anciennement envahi d'âmes joyeuses. Pourtant, en cette nuit froide d'octobre, les cris d'une jeune femme interrompent ce silence devenu habituel.

Dans une minuscule maison, les bougies éclairent l'intérieur et font danser les ombres de ses occupants sur les murs. Une religieuse, d'une trentaine d'années, s'active autour d'une future mère,allongée sur son lit, dont les hurlements ne cessent d'augmenter.

— Courage mademoiselle. Encore trente petites secondes. Voilà, allez-y !Poussez !

À peine ces mots sont prononcés, que la jeune femme crie comme elle ne l'avait jamais fait. Elle a si mal et les contractions ne diminuent pas. Bien que ce soit sa première grossesse, elle pressent que quelque chose ne se déroule pas correctement. Elle a l'impression que son bébé est bloqué envahit ses pensées.Malgré toute sa volonté, elle ne le sent pas descendre et la peur commence à se répandre dans chacune de ses cellules. Les larmes aux yeux, elle supplie la sœur de l'aider, de sauver son enfant. Elles savent toutes les deux que plus les minutes passent et plus le risque que cet enfant meure grandit.

Un court instant, les cris sont couverts par le tintement des cloches de l'église sonnant minuit. La jeune femme pousse dans un ultime espoir et elle a la sensation que ses entrailles se déchirent. Sa tête retombe sur le mur derrière elle dans un bruit sourd. La douleur est si violente qu'elle perd connaissance pendant un moment. La religieuse en profite pour aller chercher le bébé dans le ventre de sa mère. Mais l'accouchement aura raison de la vie de ce dernier. Il reste inerte dans les bras de la sœur.Pour la femme, il est inconcevable de ne rien tenter pour le sauver.Elle le secoue, le tape à de multiples reprises en priant le ciel pour que cette enfant vive. Il le faut pour le bien de la communauté. La religieuse s'autorise à respirer de nouveau une fois que les pleurs du nourrisson se font entendre. La nouvelle mère retrouve ses esprits dès les premiers sons émis par sa progéniture. La sœur dépose le bébé dans les bras de sa jeune femme. Elle n'en revient toujours pas. Jamais un enfant ordinaire n'aurait pu survivre après avoir été bloqué tout ce temps. Un miracle vient de se produire. Un miracle dont l'origine ne peut-être que celui de la Déesse Mère.

— Votre fille sera destinée à de grandes choses, Mademoiselle Aliénor.

— Je le sais, ma Sœur. C'est la raison pour laquelle vous devez l'emmener le plus loin possible d'ici. Elle ne pourra jamais résider en sécurité dans ce village avec les menaces qui règnent encore aujourd'hui.

— Ne craignez rien, rassure la religieuse. Je veillerai sur elle comme sur ma propre enfant.

Tandis que la nonne range la pièce, la jeune femme enlace sa fille qu'elle ne reverra jamais. Elle a beau savoir que sa vie en dépend, elle ne peut retenir ses larmes à l'idée de la perdre, elle aussi. Il y a quelques années, elle a promis à sa mère de ne jamais pleurer, y compris quand elle a assisté à son exécution sur cet immense bûcher. Elle ne devait pas montrer la moindre émotion pour qu'aucun lien ne soit fait entre elle et la femme condamnée pour utilisation de la magie. Elle continue de se demander pourquoi ces hommes ne l'avaient pas capturée elle aussi,ainsi que ses sœurs. Lorsqu'elle est partie pour Billerica une semaine plus tard, elle s'est aperçue que des personnes la suivaient, la surveillaient. Elle n'a pas eu besoin qu'on lui dise que son bébé serait destiné à mourir le jour de sa naissance. C'est pour cette raison qu'elle a contacté cette religieuse. Elle a eu connaissance que la nonne quittait ce pays par bateau après la destruction de sa communauté. La jeune femme l'a convaincue d'emmener le nouveau-né loin de ces forces négatives.De ce lieu où règne le mal depuis le début de la chasse aux sorcières. La religieuse prépare un panier afin d'y installer l'enfant puis s'adresse à la mère.

— Mademoiselle,nous devons partir, l'informe-t-elle d'une voix douce et posée.Souhaitez-vous lui donner un prénom ?

— Non, je vous laisse le soin de lui en choisir un, en fonction d'où vous l'emmènerez.

La jeune femme sert une dernière fois sa fille pour lui dire adieu et lui récite une prière pour que son existence soit belle et dénuée de tristesse. Elle la confie ensuite à la religieuse en la suppliant de veiller sur elle.Alors que la nonne s'apprête à franchir la porte avec le nourrisson dans le panier, elle se lève du lit avec difficulté pour les rejoindre. Elle défait son pendentif représentant l'arbre de vie et le place autour du cou de son bébé.

— J'aurais toujours une prière pour toi, ma fille, murmure-t-elle à son oreille.

Après un dernier remerciement, la sœur et le nouveau-né quittent Billerica, avec une pensée pour toutes les femmes et les enfants tombés au nom d'une guerre inutile.

Lune de sang : La prophétie de l'orphelineWhere stories live. Discover now