Chapitre 41

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— L'essentiel n'est pas là.

— Ma sœur est en vie. C'est tout ce qu'il y a de plus important.

Marin s'est rembruni. Sa silencieuse désapprobation m'a blessée.

— Je sais que...

— Tu ne peux plus rien pour elle, a-t-il lâché sans ambages. Mon rôle sera de veiller au bon équilibre de cette terre et à ta protection. Dans cette optique, si je devais la supprimer, je le ferais sans la moindre hésitation. Il n'est plus seulement question des liens familiaux qui vous unissent. Tu dois te projeter dans le futur, voir plus loin et plus grand.

— Eleanor est une partie de moi.

— On peut vivre sans certains de ses membres. Sans un cœur, on meurt. Eleanor t'arrachera le tien après l'avoir brisé.

— Je la connais. Elle est perdue. Certainement est-elle influencée par quelqu'un... ou quelque chose. Je dois lui parler ! La raisonner !

— Visiblement, tu ne la connais pas aussi bien qu'elle te connaît Oxane, a lancé Marin en ouvrant la marche pour notre retour chez lui.

Comment interpréter ses propos ? L'accompagnant sur des chemins sinueux, je pressentais que son état d'esprit mesuré s'effaçait au profit de pensées sombres et destructrices.

— Quelqu'un essaie de communiquer avec toi. Les maux de tête, les voix, les malaises, la fièvre, les cauchemars. Je n'ai plus aucun doute. Ce matin encore, j'espérais qu'un semblant de Triade reverrait le jour. Que l'entraide et l'amour feraient leur grand retour. Je me rends compte que tout cela était utopiste. Ce clan est éclaté. Je vais devoir prendre des décisions dont tu n'imagines pas la portée.

— Tu me fais peur...

— Ce que je vais te confier me déplaît. D'autant plus que tu en seras affectée.

Marin a retrouvé forme  humaine. Il a troqué ses ailes, son armure et son aura bleue pour la tenue qu'il portait plus tôt dans la journée.

Quittant la forêt, je me suis immobilisée devant une mer paisible que les sublimes reflets de la lune caressaient. Je nous voyais, Marin et moi, en héros romantique. Des héros torturés et minuscules face au monde.

— Oxane, tu devras choisir ton camp.

— Mais.

— Il n'y a pas de mais qui tienne. Je ne peux aller contre ma nature et les missions qui m'incombent. Soit, je me bats pour toi. Soit, tu te bats contre moi, a-t-il confié en s'asseyant dans le sable.

Je l'ai imité.

— J'imagine ton attachement à ta sœur et le raz-de-marée qui...

— Ton discours s'appuie sur ce que nous a dévoilé la fresque ? Peut-être pouvons-nous influer sur le futur ? Je suis certaine qu'Eleanor m'écoutera. Je ne sais pas ce qu'elle fait ni où elle est. Cependant, je suis sûre d'une chose : elle est en vie. Je pense que je l'ai toujours su au plus profond de moi. Elle n'est pas celle que Pavel et toi décrivez. C'est une belle personne ! Je te le jure !

— J'aimerais te croire.

— Alors, fais-le ! me suis-je emportée en le saisissant par les épaules. Laisse-moi une chance de la ramener. Aide-moi à la retrouver !

Marin s'est levé. Il m'a tendu la main pour qu'ensemble nous rentrions chez lui. Dans le hall de la maison, je l'ai rattrapé afin qu'il ne file pas au premier étage.

— Tu n'es pas obligé de trancher maintenant.

Pour toute réponse, il s'est dirigé dans le salon puis il a longé un couloir. Je l'ai suivi. Il a ouvert une baie vitrée donnant sur la mer. Se plaçant sur la terrasse, il a levé la tête en direction du ciel. Puis, croisant les bras sous sa poitrine, il s'est affaissé avant de rectifier sa posture pour paraître fort et puissant.

Qu'allait-il advenir ?

— Marin...

Je me suis précipitée vers lui.

Ses yeux mordorés sont devenus gris. J'ai cru rêver. J'ai dû m'approcher au plus près de lui pour être certaine de ne pas halluciner.

La mâchoire serrée, il s'est incliné pour me dévisager avant de fixer l'horizon.

— L'approximation n'a plus sa place sur ces terres. Je ne peux plus tolérer l'à-peu-près.

Le tonnerre, violent, a retenti. Des éclairs sont sortis du ciel pour frapper la mer qu'ils ont déchirée. La houle s'est déchaînée pour cogner contre les falaises. De la roche s'en est décrochée et a disparu dans l'eau.

— Ta sœur va t'être ramenée. Puisse-t-elle être du bon côté.

Ne sachant pas à quoi m'attendre, une crainte effroyable m'a traversée.

— Poursuivants ! s'est exclamé l'Archange. Venez à moi.

L'écho a fait trembler la terre.

Une rafale de vent a balayé la forêt. Ensuite, plus rien. Ce calme soudain était-il annonciateur du pire ?

J'ai frôlé la crise cardiaque quand plusieurs silhouettes floues et opaques sont apparues autour du Suprême. Le sifflement tendant à muer en chant de la mort qui accompagnait leur présence m'a fait froid dans le dos.

— Remuez ciel et terre, s'il le faut et retrouvez-la.

« La ». Marin n'a pas eu besoin d'en dire plus. À croire que ces effrayantes silhouettes flottantes lisaient dans ses pensées. L'une d'entre elles m'a frôlée. J'ai poussé une plainte aiguë à son contact. Elle a filé avec les siens en direction de la forêt pour s'y évaporer après que l'Archange a ajouté « Sévissez à l'encontre des anges oisifs. Tourmentez-les jusqu'au petit matin. Qu'ils se souviennent qu'un ange n'est pas immunisé contre la mort. ».

En réprimant les frissons liés à l'apparition des créatures et au discours de Marin, j'ai étudié le dos de ma main. Du sang en coulait. Être puni par Pavel n'était à mon avis rien en comparaison d'un châtiment délivré par des Poursuivants.

— Les Poursuivants ont besoin d'un élément leur permettant de retrouver l'être cherché ou traqué. Dans le cas présent, ton sang les mènera à Eleanor.

Devais-je être soulagée ?

Le Suprême s'apprêtait à rentrer à l'intérieur de la maison. Devant la baie vitrée, il s'est arrêté.

— Les textes anciens dévoilent que toutes les prédictions de la fresque de la Triade se sont réalisées, a-t-il conclu avant de s'éclipser dans le couloir me laissant seule et démunie sur la terrasse.

Je gardais l'espoir.

Un espoir qui fut anéanti au petit matin.


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