Chapitre 30 - LUI

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— Je suis désolé de l'indélicatesse dont mon frère a fait preuve. Il n'est pas méchant. Il lui arrive d'être sur les nerfs. D'ailleurs, il use de sarcasme et d'ironie à temps complet. C'est une information que tu dois garder à l'esprit pour ne pas être offensée à chaque fois qu'il ouvrira la bouche. Les mots sortent souvent à foison de ce que les autres Archanges nomment sa grande gueule.

Sans lever la tête vers moi, Oxane a acquiescé. Elle a terminé de lacer ses baskets et a ouvert l'une de ses valises pour en sortir un épais gilet. La percevant comme peu réceptive à mon discours, je me suis accroupi à sa hauteur.

— Tes affaires mériteraient une place dans le dressing. Qu'en penses-tu ?

— Je ne veux pas empiéter sur ton espace vital, a-t-elle répondu en se redressant la main sur la poitrine.

J'ai flairé la pointe d'anxiété en elle. Celle qui l'empêchait de partager avec moi sa vision de la situation. La technique du chantage affectif utilisée par Pavel ébranlait Oxane qui soudainement se voyait porter le poids du monde sur ses frêles épaules.

— Tu n'as rien à craindre. Je ne serai jamais loin. Peu importe le chemin que tu emprunteras sur l'Île de la Triade, je te suivrai.

— Peut-être qu'après notre « sortie » je devrais récupérer mes affaires et rentrer chez moi. Je viens d'avoir ma mère au téléphone, elle s'inquiète. Mes parents sont prêts à m'accueillir pour quelques jours si ce n'est quelques semaines.

— Ce n'est malheureusement pas possible dans l'immédiat. Ma propriété ainsi qu'une partie de la plage et de la forêt sont protégées par un enchantement. Seules les âmes pures peuvent pénétrer ma bulle. Par conséquent, ceux que nous appelons les faucheurs ne peuvent pas communiquer avec toi quand tu te trouves dans cette maison. En dehors de certaines zones, tout devient plus compliqué et tu n'échapperas pas aux voix dans ta tête. Noisette n'a pas la force nécessaire pour repousser un flot d'ennemis prêts à tuer pour t'obtenir. Elle ne joue le rôle que d'intermédiaire entre toi et moi. Même à vol d'ange, je ne serai pas assez rapide pour te retrouver chez tes parents en cas d'attaque du côté de Ville Franche. Tu dois rester dans un périmètre qui m'est accessible rapidement et si possible isolé. Un Archange au beau milieu d'une commune ne passerait pas inaperçu.

— Je n'ai pas envie d'être seule chez moi et je ne veux pas m'incruster chez toi. Tu en fais déjà beaucoup, Marin. Ton quotidien éclate en mille morceaux à cause de ma présence. Je remets en question l'ordre établi par les ailés et... tous les autres. Des autres qui restent d'illustres inconnus à mes yeux.

J'ai enlacé Oxane qui, la tête dans les mains, tremblait.

— Mon frère a tenu un discours alarmiste, mais ça ne veut rien dire. Nous ferons tout notre possible pour ne pas reproduire le schéma des anciens. Tu es ici comme chez toi. Si tu as besoin de plus d'espace et d'intimité, tu peux occuper la petite dépendance.

— Je suis très bien dans cette maison. J'ai l'impression d'être en sécurité. Ça ne m'était pas arrivé depuis la disparition d'Eleanor.

À la prononciation de ce prénom, j'ai fermé les yeux en étreignant ma douce de plus belle. J'espérais que Pavel ait tort. Que la réalité soit à l'opposé du discours qu'il formulait. Comment lutter face à une relation décrite comme fusionnelle entre deux sœurs ? Souvent, Oxane, silencieuse, contemplait le ciel. Son esprit tourmenté s'interrogeait sur le sort d'Eleanor. Était-elle morte ? Sous l'eau ? Partie loin, très loin ? Avait-elle mis en scène sa disparition ? Bien que sa voiture ait été retrouvée à proximité de la falaise du diable, son corps lui s'était volatilisé.

Je me souviens être rentré d'une chasse aux faucheurs, particulièrement agitée, cette fameuse nuit d'avril, un an plus tôt. Énervé, j'ai passé mes nerfs sur le sac de frappes au deuxième étage de la maison. Bourré d'amertume, d'une violente aigreur conduisant à une fureur destructrice, j'ai fait se déchaîner mers et océans. Terre et ciel. Il pleuvait à verse et le tonnerre grondait quand j'ai aperçu au loin des feux de voiture. Je n'ai pas traîné. Pourtant, arrivé du côté du pic rocheux pas âme qui vive. J'ai survolé la zone, plongé dans une eau mouvementée. J'ai sondé les alentours, brisant branche après branche à la recherche de la femme que j'étais certain d'avoir vue sur le point de se suicider. La réputation de la falaise du diable ne s'érodait pas avec le temps. Toutes les âmes en souffrance s'y rendaient pour en finir.

Bleu Magnétique (EN PAUSE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant