Chapitre 23

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Dix-huit heures, les bars du district de Stohess se remplissaient lentement de silhouettes bariolées. À côté de ce genre d'endroits, les troquets les plus mal famés de la capitale semblaient presque luxueux. Walter s'était, pourtant, plutôt mieux accommodé de son nouveau poste qu'il ne l'avait pensé. Il s'était attendu à bien pire que ça, étant donné le rejet qu'avait inspiré la proposition de son supérieur hiérarchique. Avec le temps, il commençait à comprendre que cette offre était loin d'être mauvaise. C'était juste qu'aucun des hommes des brigades spéciales n'avait envie de s'éloigner de la capitale pour se rapprocher de quelques kilomètres des limites du territoire humain, comme si un mur de plus allait faire une énorme différence.

Les patrouilles étaient un peu moins paisibles qu'au sein du mur Sina, il fallait l'avouer, mais le soulagement de ne plus avoir certaines personnes sur le dos compensait largement, aux yeux du jeune homme. Certes, Grant était en fin de compte toujours à ses côtés, mais il n'était plus d'une quelconque dangerosité.

À la suite du faux décès d'Isa, Walter avait en effet décidé qu'il n'avait plus aucune raison de tenir ses engagements vis-à-vis du brun, et s'était empressé d'aller inscrire son nom sur la si redoutée liste des volontaires. Le capitaine de leur unité, voyant là l'opportunité de faire d'une pierre deux coups, s'était donc empressé de les envoyer tous les deux à Stohess, réduisant ainsi nettement les conflits au sein de ses troupes.

La petite vengeance de Walter était certes mesquine, mais le souvenir de l'expression de Grant lorsqu'il avait appris sa mutation ne manquait jamais de faire naître un sourire moqueur sur son visage. Et le plus satisfaisant, c'était qu'il ne pouvait absolument rien faire contre lui. Ici, il n'avait pas de connexions. Personne pour assurer ses arrières. Walter était tout aussi isolé, certes, mais était au moins habitué à agir seul et savait prendre des décisions par lui-même, sans avoir besoin que ses supérieurs ou pseudo-alliés lui disent quoi faire. Coupé du milieu militaire, ou d'un quelconque système pyramidal, Grant ne valait pas un clou.

C'était en face de lui que le soldat aux cheveux blancs était assis, observant le fond de sa tasse d'un air négligent. Le mardi soir était l'un de leurs rares temps de repos, il avait du mal à croire qu'il le sacrifiait pour discuter avec cet énergumène. Mais bon, celui-ci avait insisté pour lui parler, et le jeune homme avait bien senti qu'il ne le lâcherait pas avant qu'il ait accepté cette courte entrevue, loin des oreilles de leurs collègues et des habitués, dans un coin de bar où l'on ne viendrait pas les interrompre.

« Tu vas me fixer encore longtemps, ou tu comptes accoucher à un moment ? Lâcha Walter au bout d'un certain temps de silence.

- Même plus la politesse de dire bonjour, à ce que je vois. Soupira le brun d'un air excédé.

- La dernière fois que j'ai essayé d'être poli, tu m'as remercié avec un cadavre. » Répliqua-t-il, reportant son attention sur sa tisane.

Il avait bien compris la leçon de la dernière fois, et n'avait pas touché à l'alcool depuis. Même si en ce moment précis, ça lui aurait sûrement permis d'oublier que sa petite sœur était sortie des murs la veille. Il ne savait même pas si elle était revenue en vie, les noms des victimes n'étaient pas encore parvenus à son unité. De ce qu'il avait pu entendre, cependant, l'expédition avait été un véritable fiasco. Comme d'habitude. Il tentait de ne pas en tenir compte. Si personne ne lui avait encore apporté de mauvaise nouvelle, plus de vingt quatre heures après le retour chaotique des troupes, c'était qu'il n'avait pas de quoi s'inquiéter.

« C'est de ça que je suis venu te parler. J'ai pensé qu'en échange de quelques infos, tu pourrais peut-être te démerder pour convaincre le chef de me renvoyer à Mitras. »

LunaireWhere stories live. Discover now