Chapitre 6

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Le soleil commençait à se coucher lorsque Walter poussa la porte d'un bar à l'aspect miteux, à quelques rues à peine de la caserne. L'odeur rance de l'alcool bon marché et du tabac froid lui fit froncer le nez. Il avait l'habitude des odeurs d'écurie et de diverses émanations corporelles, mais là, ça lui agressait tout simplement les narines.

Après la première lettre, il y en avait eu deux autres, à une bonne semaine d'intervalle à chaque fois. Diverses instructions, des endroits à examiner, quelques papiers à subtiliser... Chaque nouvel élément le faisait plonger un peu plus avant dans le danger, sans même qu'il le réalise. De toute manière, sa soif de comprendre quelque chose à ce vaste fiasco lui minait tant le cerveau qu'il n'aurait pu s'en tenir là, même avec la meilleure volonté du monde. Or, là, il avait un problème majeur. Depuis qu'il avait transmis les derniers documents que son grand-père lui demandait, trois semaines auparavant, il n'avait pas donné signe de vie. Le pire, c'est qu'il savait que les documents avaient été récupérés, puisqu'ils n'étaient plus à l'endroit où il les avait déposés. A partir de là, plusieurs hypothèses se présentaient à lui : soit Abel avait récupéré les documents, et il lui était arrivé quelque chose. Soit il était arrivé quelque chose à Abel, et quelqu'un d'autre avait récupéré les documents. Soit quelqu'un avait récupéré les documents avant lui, et il attendait toujours des nouvelles. Soit...

Le jeune homme s'assit sur une chaise au hasard, le cerveau en feu. Il réfléchissait bien trop, la solution était sans aucun doute beaucoup plus simple que ça. Enfin, quoi qu'il en soit, il fallait qu'il s'assure qu'Abel allait bien. Et pour ça, il allait dans les bars, et laissait traîner ses oreilles. Lui et Liesel n'étaient pas frère et sœur pour rien, au final... Lui qui l'avait traitée d'adoptée toute leur enfance.

Il avait besoin de se clarifier un peu les idées, alors il demanda un verre d'alcool fort, le regard fixé sur ses mains pâles.

« Te fous pas de moi, gamin, t'as quatorze piges à tout péter. » lui répondit une voix moqueuse.

Lorsqu'il leva la tête, il rencontra un visage piqueté de minuscules taches de rousseur et un sourire sarcastique. Pris de court, il fronça les sourcils.

« J'ai dix sept ans, il me semble que j'ai dépassé l'âge légal. Dit-il, restant pour autant parfaitement calme.

- À d'autres. Répliqua-t-elle avec une moue peu convaincue.

- Isa, arrête d'faire chier l'client ! Fit une voix agacée depuis derrière le comptoir.

- Compris, sergent. Ironisa-t-elle en se redressant légèrement. Elle roula des yeux et se dirigea vers le comptoir d'un pas vif, tendant la main pour qu'il lui passe un verre propre et la bouteille appropriée.

- Prends pas d'grands airs 'vec moi, j'ai fait l'armée, moi, au moins. Se rengorgea l'homme ventripotent qui récurait les verres à la chaîne.

- Et moi je me suis fait l'armée. Dit-elle avec un sourire malicieux.

- Va racoler ailleurs, j'suis pas intéressé par les minettes.

- T'es pas mon genre de clientèle. Et puis, c'est pas pour ça que tu me paies. » Riposta-t-elle en fronçant le nez, la mine dégoûtée.

Walter avait suivi cet échange d'un air légèrement déstabilisé. Forcément, vu le milieu dont il était issu et celui dans lequel il évoluait à présent, il n'était pas franchement habitué à côtoyer ce genre de personnes. Quoique, il savait bien que certains des brigades spéciales faisaient appel aux services de prostituées, mais il ne s'attendait pas à en entendre parler aussi crûment. Et il avait certainement les oreilles rouges de gêne.

D'ailleurs, ce détail devait se remarquer puisque, lorsque la jeune femme lui apporta son verre, elle laissa échapper un sourire narquois. Elle aurait pu être jolie, si elle n'avait pas eu en permanence cet air moqueur.

LunaireWhere stories live. Discover now