Chapitre 1

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À ce jour, et malgré mes nombreuses relations dans ce lycée, je ne considère que deux personnes comme mes amis. De vrais amis je veux dire, pas de vulgaires connaissances à qui je n'adresserai la parole que pour me venter d'avoir une meilleure vie qu'eux dans les réunions d'anciens élèves.

Le premier se nomme Paco, c'est mon voisin. Il est à peu près tout l'inverse de moi. Il est fasciné par la science fiction, s'adonne avec passion aux les jeux vidéos, aux BD et aux jeux de rôle. Il s'habille avec les affaires usées de son grand frère, ne s'occupe absolument pas de sa peau rongée par l'acnés et ne cherche pas à dompter ses cheveux frisés qui ne comprennent rien au principe de gravité. Rien ne nous destinait à être amis, sauf notre situation géographique. En effet, depuis toujours, il est mon voisin le plus proche.

Depuis que nous sommes en âge de rentrer seuls de l'école, il ne s'est pas passé un trajet sans qu'il ne me conte les histoires de ses héros favoris. Nous avons même inventé de nombreuses histoires tous les deux. Je les écris et il les mets en scène par dessins. C'est d'ailleurs le seul que j'autorise à lire ce que j'écris. Nous avons beau être diamétralement opposés, nous nous apprécions beaucoup. Je le soupçonne même d'être secrètement amoureux de moi, mais il a la décence de le cacher ce qui me fait l'aimer d'autant plus.

Il comprend que dans l'enceinte du lycée, je ne peux pas me permettre de trop trainer avec lui. Mon statut de fille populaire est fragile, une seule fréquentation peut le faire basculer et je ne veux pas prendre de risques. Ce n'est pas pour ça que je l'ignore non plus. Chaque soir, je le ramène en voiture et même si certaine de mes « amies » (du moins c'est comme ça qu'elles s'appellent) me disent que « ça craint de devoir se coltiner un geek en voiture », je ne renoncerai pour rien au monde à ce petit trajet rien que nous deux.

L'autre amitié qui me préserve de la folie, c'est celle que j'entretiens avec Kelly depuis le collège. Elle n'est pas vraiment ce qu'on pourrait appeler un cerveau... Mais elle est la gentillesse incarnée, la bonté même. Nous avons gravie les marches de l'échelle sociale du lycée le même été. Alors qu'on m'enlevait mon appareil dentaire et que je découvrais les lentilles de contact et le lisseur à cheveux, Kelly, elle, perdait 20 kilos tout en gardant son tour de poitrine.

Contrairement à moi, elle n'enchaine pas les conquêtes. Non, elle, si elle a fait tant d'efforts pour devenir jolie, c'est pour Kyles, le garçon qui la fait rêver depuis la maternelle. Et elle a réussi. Certes, il a fallut qu'elle se transforme en déesse grec pour qu'il daigne la regarder, mais depuis qu'il a découvert la douceur, la joie et l'amour qu'elle pouvait offrir au monde, je suis certaine que même si elle redevenais la jeune fille obèse et timide qu'elle était, il continuerait de la regarder avec des étoiles dans les yeux.

Je l'envie un peu. Kelly semble toujours voir le bon côté des choses, s'émerveille de chaque nouvelle aventure, contemple le monde comme si elle le voyait à travers des lunettes roses en permanence. Chacune de ses paroles me fait entrevoir un bout d'espoir dans ce monde qui déborde de résidus de font de chiottes.

Voilà, c'est eux, mes amis, ceux que j'appellerai pour enterrer un corps, déplacer un canapé ou partir à la recherche d'un trésor antique. Les autres... les autres ne sont que du vent.

J'observe chaque personne assise à ma table dans le réfectoire et cela confirme ce que je pensais. À côté de moi, Tiphany discute de la dernière vidéo de je ne sais qui sur youtube avec Spencer. Kyles et Brendon lancent des bouts de pain sur la table des membres de la fanfare derrière nous. Killian et Patrik se la jouent en matant chaque paire de miches qui passe à hauteur de leurs regards, Rachel et Emily refont leur manucure... Au bout de la table, les pompoms girls restent avec les sportifs sans même nous adresser un regard. Comme si, même nous, nous n'étions pas à la hauteur. Et pourtant nous sommes assis là, à cette table tan convoitée, celle de l'élite du lycée. Je sais pertinemment que ce règne prendra fin bientôt. Nous sommes aujourd'hui les rois et reines du lycée mais dans quelques mois, la fac nous remettra à notre véritable place, dans le bas de la chaine alimentaire.

Alors certes, je m'ennuis ferme lorsque je mange avec eux, oui notre amitié est en carton et prendra fin dès la dernière goute de bière ingurgité après la fête de remise des diplômes, mais je ne changerai de place pour rien au monde. Car je ne sais que trop bien ce que c'est qu'être invisible et insignifiante. J'aime que les gens se retourne lorsque je traverse les couloirs du lycée, j'aime avoir des demandes d'amitié dès que je me connecte sur les réseaux sociaux, j'aime avoir le plus de vues sur mes story instagram, j'aime que les premières années baissent les yeux devant moi et être le fantasme de chaque mec de cet école. Peu importe que tout mon petit monde soit artificiel, je n'y renoncerai pas. Et lorsque Paco dépose une pomme sur mon plateau en passant près de nous et que Kelly me sourit au loin dans sa tenue de pompom girl, je sais que grâce à eux, je ne serais jamais seule, même dans ce bal masqué ininterrompu. 

Rapprochement improbableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant