Chapitre 1 : Anya

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Plus elle se rapprochait de l'odeur pestilentielle et plus ses sourcils se fronçaient, plus son regard s'assombrissait. Quelque chose clochait. Les bas-fonds n'étaient jamais aussi calmes, même les entrepôts des docks s'emblaient tourner au ralenti. Le constant brouhaha des tavernes et des échoppes louches du coin s'était tu, la cacophonie des ateliers et des entrepôts aussi. Les rues étaient désertes, l'habituelle foule des badauds s'était dispersée loin d'ici. Les façades des maisons à colombage semblaient toiser Anya de leur haute stature et de leur structure délabrée, comme si elles menaçaient de s'écrouler sur elle. Cela n'avait rien d'habituel, le quartier était au bord de la ruine depuis des années, mais sans le flux continuel des passants, cela n'en était que plus flagrant. Des volutes de fumée noire envahissaient progressivement les sombres ruelles des faubourgs.

Une forme blonde, éclat de lumière inespéré parmi la grisaille de la rue, attira soudain son attention. Anya s'avança en sa direction, avant de réaliser à qui appartenait cette silhouette et de s'en mordre les doigts. C'était Elvire, l'un des rares électrons libres des bas-fonds qui n'en avait rejoint aucun gang, et probablement sa figure la plus horripilante. Du moins, elle l'était aux yeux d'Anya. Elvire était une princesse au milieu des rats, une véritable poupée de porcelaine tant la blancheur de sa peau et la blondeur de ses cheveux contrastait avec la saleté qui semblait avoir imprégnée le reste de la population. Elle avait débarqué là un jour, loué une chambre miteuse et n'en était jamais repartie. Anya la soupçonnait d'être, contrairement à ce qu'elle prétendait, d'une origine bien plus illustre que le reste d'entre eux, mais malgré ses efforts, elle n'était pas encore parvenue à la percer à jour. C'était l'une des seules personnes sur qui elle ne détenait pas de sombres secrets. Tout ce qu'elle savait concrètement, c'était qu'Elvire était accro aux opiacés, au point qu'elle ne pouvait dormir sans, qu'elle avait des accès de violence incontrôlables et qu'un jour, elle avait littéralement arraché les yeux d'un docker innocent – si tant bien est qu'on puisse être innocent à la Cour des Miracles. Anya n'y aurait jamais cru si elle n'y avait pas assisté de ses propres yeux, mais manifestement, cette poupée avait plus d'un tour dans son sac et cachait bien son jeu. Anya la détestait pour son instabilité et son refus ostentatoire de choisir un camp entre les Draconis et les Zmeirans. Elle était dangereuse.

- Anya, s'exclama la blonde de sa voix doucereuse en la voyant s'approcher. Quel bon vent t'amène ici ?

- Que se passe-t-il ? rétorqua-t-elle d'un ton péremptoire, sans prendre la peine de répondre à sa question. Pourquoi c'est aussi calme ?

- Il me semble que tes hommes ont effrayé tout le monde. Probablement parce qu'ils faisaient joujou avec des explosifs en pleine rue.

Anya leva les yeux au ciel. La princesse la prenait pour une idiote et elle détestait ça.

- Ne joue pas à la plus fine avec moi. Des hommes équipés d'explosifs, ça n'a rien d'étonnant dans les environs. Que s'est-il passé ? Et ne me dis pas que tu n'en sais rien, ta robe est couverte de poudre à canon.

La blonde jeta un regard faussement coupable à ses jupons.

- Oups. Quelle maladroite je fais.

Excédée, la brune s'avança vers l'autre. Se sentant menacée, elle quitta son faux air naïf et se saisi de son pistolet.

- Ne m'approche pas, aboya-t-elle d'une voix bien plus dure que précédement. Tu sais que je n'hésiterai pas à faire feu.

- Qu'est-ce qu'il s'est passé ? répéta Anya en soutenant son regard, sans prendre en compte la menace.

- Réfléchis deux minutes. Les Zmeirans vous ont tendus un piège, évidement. Des gros bras remplis de poudre, ça suscite la convoitise, tu ne penses pas ?

Anya jura. Étaient-ils stupides au point de transporter toutes leurs munitions d'un coup ? Elle avait pourtant donné des directives on ne peut plus claires à Octav, il n'y aurait pas dû avoir le moindre problème. Parfois, elle se demandait pourquoi elle prenait encore la peine d'élaborer des stratagèmes complexes pour assurer la pérennité des Draconis, quand la majorité de ses membres étaient des idiots finis qui n'avaient que trois centres d'intérêt : l'argent, la bagarre et les filles. Anya, elle, possédait une véritable vision, elle comptait bien mettre ses talents en œuvre pour s'extirper de ce trou à rat et laisser sa marque dans le monde. Elle avait beau porter une affection sans borne aux ruelles sombres et puantes de la Cour des Miracles, elle savait que le monde était vaste – et qu'il regorgeait de richesses.

- Il s'est passé quoi exactement ?

La blonde soupira.

- Manifestement, les Zmeirans avaient investi ton entrepôt avant que tes gars n'arrivent. Ils ont attendus qu'ils soient tous à l'intérieur pour les faire exploser. Après tout, le combustible était déjà sur place.

Blanche de rage, Anya tourna les talons et s'avança d'un pas lourd vers la scène du crime. Elle récapitula qui elle y avait envoyé : Rim, Morvan, Soaz, Maden, Fahd. Sans compter son fidèle bras droit, Octav. Si elle en avait perdu ne serait-ce que la moitié, l'organisation était plus fragilisée qu'elle ne l'avait jamais été. Elle se maudit d'avoir envoyé les meilleurs de ses artilleurs sur le coup. Qu'est-ce que Sonja n'avait pourtant cessé de lui répéter ? Ne jamais mettre toutes ses munitions dans le même panier. Il fallait bien qu'elle paye les frais de son arrogance un jour ou l'autre. Elle avait laissé ses hommes se vanter de leur prise du salpêtre royal, les Zmeirans en avaient profité et s'étaient vengés des humiliations récentes que les Draconis leur avaient récemment fait subir : quoi de plus logique ?

Une fois devant la scène, elle ne put s'empêcher de faire tomber son masque d'impassibilité pour laisser échapper un râle de colère. Elle avait été bernée comme une débutante. Non seulement son entrepôt était réduit à un tas de cendres, et sa poudre évaporée, mais surtout, la majorité de ses hommes étaient morts. Encore debout, il ne restait qu'Octav, Rim et Fahd. Trois sur les six envoyés. C'était peu.

- C'est la merde, gronda Octav d'une voix enrouée par la fumée.

Anya le fixa de son regard noir, aussi furieuse que dévastée.

- Des explications ?

- On nous a tendu un piège. L'entrepôt grouillait de ces saletés de Zmeirans. Ils ont attendus qu'on soit rentrés pour en massacrer une bonne partie à bout portant, avant de foutre le feu aux corps. Ça n'a été qu'une question de secondes avant que les flammes n'atteignent la poudre.

- Je ne sais pas comment on a fait pour s'en sortir, bredouilla Rim, bien loin de son ton bravache habituel.

- Ils voulaient qu'il y ait des survivants pour qu'ils puissent témoigner. Un message à transmette peut-être ?

- Rien, à part « mes amitiés à Anya », de la part de Darmin, répondit Fahd.

Évidement. On pouvait toujours compter sur ce satané Darmin Zmeirans pour lui rendre la vie impossible.

- Il y a un traître parmi nous. Personne ne savait, ni pour l'entrepôt, ni pour l'heure où vous deviez vous y rendre, à l'exception d'une poignée d'homme. J'imagine que vous n'êtes pas assez stupides pour claironner ce genre d'information à tout vent. Quelqu'un l'a donc transmise volontairement.

Un silence de mort s'abattu sur les ruines du hangar, tandis que les cendres des cadavres virevoltaient autour d'eux. Anya s'essuya le visage d'un geste rageur. Savoir qu'elle respirait les restes de ses hommes la révoltait.

- Faites passer le mot et renseignez-vous quant au traître. À la seconde où je pose mes mains sur ce salopard, c'en est fini pour lui et l'intégralité de sa famille. Croyez-moi, cette ordure finira par regretter d'être née. Personne ne me trahit impunément. Personne. 

De cendres et de veninWhere stories live. Discover now