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La première idée qui me vint ne fut pas la plus originale.
Loin de là.
Très loin de là.
Mais comment ne pas y penser ?
Une clé, en pendentif, suspendue tendrement à une mince chaîne, descendant se poser au milieu de la gorge. Un bijou si intimement lié à son porteur que l'on l'imagine, de façon presque infantile, ouvrir la porte de son coeur. La porte de ses secrets, de ses rêves, de ses envies, de ses angoisses peut-être aussi.
La porte de l'intime. Voilà ce que m'évoqua ce bout de métal aussi délicatement arboré.
J'y pensais - car j'aime à m'accrocher à ces bouts de réalité que je perçois - et cette clé, provocante, revenait sans cesse me narguer de son bout de vérité que je ne pouvais m'empêcher de désirer. Non, ça ne pouvait pas être aussi simple que ça.
Il y a bien des clés qui ouvrent des coeurs, des journaux intimes et autres intérieurs secrets mais celle-ci, sûrement d'ailleurs parce que - son secret m'ayant été refusé - je me mettais à la désirer, m'inspirait davantage. Alors, un soir que le sommeil tardait à me trouver, je me pris à laisser mon imagination trottiner bêtement derrière cette clé qui me tenait.

La réponse que j'avais ne me satisfaisait pas. Il y avait forcément quelque chose qui m'échappait, mais quoi ? Je regardais autour de moi.
Que pouvait bien vouloir ouvrir une clé ainsi portée ? J'avais beau chercher, mais mis à part le coeur et les secrets précédemment évoqués, une boite à bonbons, un coffret rempli de chips ou un donjon au fin fond d'une forêt ou vivrait reclus un bébé dragon, je ne voyais pas. Et puis la clé était de toute évidence un symbole. Au même titre que tout un tas de babioles mais à la différence près que ce jouet-ci ouvrait quelque chose... et si...
Et si je ne m'étais pas posée la bonne question ? Et si cette clé n'ouvrait rien ? C'est vrai, je m'étais dès le début et aveuglément je dois le dire, précipitée sur l'idée que cette clé devait nécessairement ouvrir quelque chose. Mais peut-être n'était-ce pas le cas. Après tout, une clé peut aussi bien ouvrir que fermer.
Mais fermer quoi ? Et alors, était-on à l'intérieur ou à l'extérieur de cette chose ? Si cette clé n'ouvrait pas une quelconque boîte c'est peut-être qu'elle servait à la maintenir fermée. Cela pouvait-il signifier que nous nous trouvions à l'intérieur d'une certaine réalité ? À l'intérieur d'une réalité dont Eve, Eve la première femme, Eve la femme qui amène le pêché aux hommes, possédait les clés.
La clé.
L'unique clé.

J'y pensais, et plus que je n'imaginais, je voyais.
La clé. La clé qu'on porte autour du cou, la clé qu'on garde avec soi, à la vue de tous sans pourtant jamais s'en défaire. Cette clé, autant que cette attitude me faisait penser à celle d'un geôlier. Un geôlier se promenant, se pavanant, au milieu de ses prisonniers, de ses détenus, avec, au cou, la clé. Celle de la liberté.

Avoir la clé, c'est avoir le pouvoir. C'est décider de s'en servir et savoir, connaître, sa serrure. Et à quoi justement pouvait bien ressembler cette serrure ? Seul le geôlier pouvait le savoir. Le geôlier ou le gardien.

Le gardien! C'était forcément ça. La clé ne servait peut-être ni à ouvrir, ni à fermer quoique se soit, mais peut-être bien à partir. À s'enfuir. De quoi ? De la réalité. De ce monde. Ou d'un autre. S'était-elle enfuie d'un autre monde ? Se préparait-elle à quitter le nôtre ? Autant de questions dont je ne parvenais à me défaire.
J'étais allée trop loin, je n'aurais pas du, et, comme la princesse qui craint le retour de Barbe Bleue avec la clé souillée de sa curiosité, je me mettais à craindre de revoir cette clé dont j'avais, à tort - quoique malgré moi - tenté de percer le secret.

On ne sait rien, ou si peu mais il y a des choses qui nous font prendre conscience - presque insolemment - de notre ignorance. On veut les faire taire, et on veut savoir.
Savoir pour pouvoir leur renvoyer ce sourire narquois et leur dire « tu vois, je sais ». Mais comme il est des pommes meilleures à sentir qu'à croquer ; il est sûrement des secrets meilleurs à rêver qu'à connaître.

la cléWhere stories live. Discover now