Chapitre 19

Depuis le début
                                    

Mais les mots du Major, elle devait l'avouer, avaient quelque chose de différent. Sans doute parce qu'il ne laissait pas les cadets se voiler la face. Quatre-vingt-dix pourcents des effectifs décimés en quatre ans, voilà les chiffres qu'il avançait. Pourquoi diable décourageait-il ainsi les volontés ? Ça n'avait absolument aucun sens. Nul doute qu'après un tel discours, seul Eren et ses deux sous-fifres prendraient la peine de le suivre, personne de sensé n'irait se mettre au service d'une cause qui les tuerait presque à coup sûr. Et pourtant... Peu importe comment elle réfléchissait, elle sentait qu'il y avait quelque chose de logique derrière le discours parfaitement contrôlé de l'homme qui leur faisait face. Il cherchait à provoquer une réaction, comme un chien de chasse débusque un oiseau. Une question vint s'ajouter aux tourments de la jeune femme. Quel oiseau ? Que pouvait-il chercher au milieu d'une bande de gamins à peine remis de ce qu'ils venaient de subir ? Pourquoi semblait-il les pousser à la fuite ? Pour voir qui serait assez timbré pour rester ? Pour se constituer une unité de gens qui ne sourcilleraient pas lorsqu'il leur ordonnerait de mourir ? Elle ne parvenait pas à mettre le doigt dessus, mais se promit d'y réfléchir plus amplement lorsque ce discours s'achèverait enfin.

« Ce sera tout. » finit par lâcher le Major. « Ceux d'entre vous qui souhaitent intégrer un autre corps d'armée peuvent disposer. »

Les courants d'air qui frôlèrent Liesel ne l'étonnèrent guère. Ce qui la déstabilisait nettement plus, c'était la sensation d'avoir les pieds ancrés dans le sol alors que le monde autour d'elle semblait se dérober. Elle était à la dernière ligne. S'éclipser ne risquait pas de lui causer de honte, puisqu'aucun de ceux qui avaient le cran de rester ne regardait en arrière. Mais ce n'était pas le groupe qui la faisait rester. C'était la voix, dans un coin de sa tête, qui lui disait d'aller chercher toujours plus loin. Comprendre le monde et ses monstres, une bonne fois pour toutes. Alors elle resta. Malgré la douleur qui lui vrillait l'abdomen, elle se tint droite, les yeux clos. Si elle les ouvrait pour se trouver seule dans cette cour, avec seulement le Major et les trois timbrés, ainsi soit-il. Elle prenait cette décision seule. Pas pour son grand-père, pas pour sa famille, pas pour Marco, pas pour l'humanité. Pour elle, elle et personne d'autre.

« Vous qui êtes restés, êtes-vous prêts à mourir sur un simple ordre ? » finit par demander la voix du Major.

Compte là-dessus, songea Liesel en ouvrant les yeux. Elle constata vite qu'ils étaient bien plus de quatre à être restés. Devant elle, plusieurs silhouettes se dessinaient. Bertholdt. Ymir, Christa. Sasha et Connie, ce qui était plutôt étonnant de son point de vue. La présence la plus surprenante était certainement celle de Jean. D'ailleurs, Liesel ne perdit pas de temps à essayer de comprendre. Ce qui la préoccupait nettement plus, c'était le fait que Reiner soit là. Lorsqu'elle y repensa, ça n'avait rien d'étonnant. Le Major promettait la reconquête du Mur Maria, faire partie de ces opérations lui permettrait de s'approcher de chez lui... Même s'il devait y laisser sa peau, il aurait au moins effleuré l'espoir de rentrer un jour. Une chance qu'elle n'aurait sans doute jamais. Ses espoirs à elle reposaient bien plus loin.

« Pas moi, chef. » fit une voix qu'elle n'identifia pas. Elle remercia mentalement son propriétaire d'avoir osé ouvrir la bouche, heureuse de constater qu'elle n'avait pas atterri au milieu d'une bande d'inconscients dénuée de tout sens critique.

« Bon... J'aime l'air que vous arborez. Lâcha le Major. À compter de cet instant, vous êtes des membres du Bataillon d'exploration. Loué soit votre courage. Sur le cœur ! »

Liesel replia son poing contre son cœur dans un geste lent. Un sourire léger trouva son chemin jusqu'à ses lèvres. Elle venait de décider, de son plein gré, de replonger en enfer dans un mois, et pourtant, elle se sentait à sa place. Comme libérée d'un poids immense. Elle se donnait enfin les moyens de voir les étoiles de l'autre côté du ciel.

LunaireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant