Chapitre 20 - LUI

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— Katalina.

Des craquements en provenance des branches m'ont poussé à déployer mes ailes. J'ai dissous le brouillard pour illuminer les lieux de ma seule présence. L'angelot est apparu. J'ai réduit l'intensité de l'aura étincelante dont j'avais été doté en devenant un être supérieur.

— Comment tu te la racontes avec tes belles et grandes ailes, Marin. Je veux les mêmes. Les aurais-je un jour ?

— Elles se méritent.

— Ai-je au moins droit à un petit bisou ? Un bisou pour me saluer comme le font les Français. Ils passent leur temps à s'embrasser. Tu ne souhaites pas m'embrasser ? a minaudé Katalina en me tournant autour avant de me tendre sa joue pour que j'y dépose un rapide baiser. Oxane a droit à plus, elle.

L'air péremptoire que j'ai affiché a calmé la jeune oie qui a retrouvé son sérieux. Plus question de rigoler. Je n'avais pas de temps à perdre et la situation ne se prêtait pas à une partie d'humour.

— Ton impertinence te mènera à ta perte, ai-je affirmé en poursuivant ma progression.

J'ai grimpé sur les épaisses racines qui affleuraient le sol. Puis je me suis baissé pour enfoncer mes doigts dans la terre humide.

— L'un des faucheurs a transgressé les règles. Il est sorti de la zone de parcage. Nous l'avons récupéré avec Ozmir. Je peux te dire qu'il a pris une sacrée raclée et qu'il n'est pas près de recommencer.

J'ai levé le bras pour faire signe à Katalina de se taire. Les anges n'avaient pas fait leur travail correctement.

— La solidité d'une chaîne n'excède pas celle de son maillon le plus faible, ai-je souligné en me redressant pour dévisager l'angelot qui m'affrontait d'un regard insolent comme le ferait un enfant repris par ses parents. Je n'ai pas le temps pour tes bêtises, Katalina. Si tu me défies encore de la sorte, je sévirai. Souhaites-tu rendre visite à Pavel ? J'ai cru comprendre qu'il s'amusait en Sibérie à pendre ses chérubins par les pieds au-dessus des cages de ses smilodons affamés.

Katalina a frémi. Elle connaissait Pavel, mon frère, et ses loisirs discutables. Peu d'anges sous ses ordres lui manquaient de respect de peur de voir leurs jolies chairs déchiquetées par les smilodons (animaux préhistoriques aux dents de sabre dont les capacités se voyaient « boostées » par le pouvoir des Archanges).

— Non, je sais, ai-je poursuivi alors que mes ailes se sont acérées, un tour auprès de Sana dans le désert du Sahara devrait t'apprendre le respect et l'intelligence d'obéir aux ordres qui te sont donnés. Mon frère a raison. Je suis trop sympathique, peut-être même laxiste avec mes angelots. Je vous pense capables de garder des faucheurs en cage, ce qui est votre mission première, et je me retrouve à vous couver nuit après nuit pour nettoyer et sévir à votre place.

— Marin... a balbutié Katalina.

— Je t'écoute.

La moue grincheuse de l'ange s'est transformée en une expression attristée. Ses lèvres ont tremblé. Je n'aimais pas la reprendre ni l'effrayer, mais elle devait prendre conscience de la mesure de notre mission.

— Approche.

Je lui ai ouvert mes bras pour qu'elle s'y glisse. Je n'oubliais pas d'où venait Katalina et ce à quoi je la prédestinais. C'est bien pour cela que je la couvais et étais plus sévère avec elle qu'avec les autres.

— Je n'aime pas que tu me grondes.

— Je n'ai pas le choix. Tu n'es plus humaine. Tu as des devoirs en tant qu'ange que tu dois respecter. Avec les autres, vous vous éparpillez. Je devrais être du côté des falaises et de la mer et je me retrouve au beau milieu de la forêt pour exécuter une mission de surveillance que j'ai déléguée. Quand je délègue, j'aime que le travail soit parfaitement exécuté. Il n'est pas question d'une simple broutille, d'accord ?

— Vas-tu m'expédier chez Pavel ? s'est-elle inquiétée en essuyant les larmes sur son visage.

— Je ne t'enverrai nulle part petite impertinente.

Environ deux cent trente ans plus tôt, je découvrirais une gamine cachée à côté d'un ruisseau au beau milieu d'une campagne. Elle était la seule rescapée d'une famille, bourgeoise de six enfants, cataloguée d'ennemie de la Révolution durant la Terreur entre 1793 et 1794. Ses frères, ses sœurs et ses parents furent tués sous ses yeux. Elle n'avait que cinq ans quand je l'ai retrouvée blessée et apeurée dans le froid sur le point d'être fusillée. Ce jour-là, j'ai commis un carnage. De quel droit pouvait-on s'attaquer à un si petit être, fragile, délicat et sans défense ?

Nous ne nous sommes plus quittés depuis et j'avais trouvé judicieux de lui accorder ses ailes, les mêmes que celles de la poupée offerte par ses parents lors de son quatrième anniversaire.

— Allez, je passe pour cette fois. Reprends-toi.

Katalina a approuvé. Elle s'est extraite de mon étreinte pour cheminer à mes côtés. À peine avions-nous fait quelques pas, qu'une ombre d'un rouge foncé a obstrué une partie de mon champ de vision. Je n'ai pas perdu de temps pour m'élancer et la trancher en deux. Cette exécution servirait d'exemple à tous les autres faucheurs dans les parages : dépasser les limites revenait à en payer le prix Les limites étant celles instaurées par les Archanges dans des périmètres précis à travers les forêts de Beaupuy et de Ville Franche.

— Faucheurs ! ai-je tonné. Que cela vous serve de leçons !

Je me suis élevé dans les airs pour surplomber la forêt au-dessus de laquelle je volais. Sans prévenir, j'ai plongé à travers les hauts arbres pour sévir en exécutant chacun des faucheurs à ma portée. Le boucherie débutait. Beaucoup ont fui, se sont cachés pour ne pas être les victimes de la fureur d'un Archange. Au contact de mes ailes, pas de passage par les limbes : il en était terminé de leur putride existence d'êtres maudits et déchus de leurs titres d'anges et d'Archanges.

La besogne exécutée, je n'ai pas traîné. À quoi bon convoquer les chérubins, protecteurs de la forêt, sous mes ordres ? Ma démonstration de force était assez éloquente. Katalina ferait un bon messager et leur narrerait avec exactitude la scène.

Je n'ai pas perdu de temps pour rebrousser chemin. Je suis ressorti de la forêt sous ma forme humaine et j'ai récupéré mon pull sur le perron que j'ai enfilé pour plus de normalité.

Je m'apprêtais à rentrer chez moi quand mon attention fut attirée à travers une fenêtre par Oxane se déhanchant dans le salon avec le chien survolté. J'ai souri à cette vision. La demoiselle ne s'imaginait pas la place qu'elle prenait dans mon existence. Elle faisait souffler un vent d'air frais dans mon quotidien. Un vent d'air frais dont je ne pouvais plus me passer. Un vent d'air frais qui m'envoûtait. Un vent d'air frais sur le point de tout changer...

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Bonne semaine !

Bleu Magnétique (EN PAUSE)Where stories live. Discover now