Souviens-toi de nous

28. Se détourner du droit chemin (Flashback #10)

Juin 2020

Jules

Un dernier examen.

Une dernière nuit.

Je me réveille désorienté et engourdi. Mon dos me lance, ma joue me démange. Il me faut quelques secondes pour réaliser que je ne me trouve pas dans mon lit, mais bien complètement avachi contre la table de la cuisine. Tout est calme autour de moi. Le silence qui règne dans l'appartement est uniquement perturbé par le robinet de l'évier qui fuit. Les gouttes s'écrasent à intervalle régulière dans la tasse que je n'ai pas eu le courage de laver après mon vingtième café de la journée. J'ai clairement forcé sur les doses depuis ce matin, avalant près du double de mon quotta habituel. Cela n'a malheureusement pas eu l'effet escompté sur mon organisme, puisqu'il semble que je me sois quand même endormi comme une merde sur mes cours d'anatomie. La tête toujours collée à mes feuilles, je fusille puérilement la cafetière du regard, ayant la désagréable impression qu'elle se fout de ma gueule.

Me redresser n'est pas une mince affaire. Mon cou ankylosé n'apprécie pas vraiment ma hâte à retrouver un semblant de dignité. Un grognement de douleur sort de ma bouche lorsqu'il me fait payer le fait de l'avoir maintenu dans une position inconfortable pendant... plus de deux heures putain !

Je fixe le cadran du four sans y croire. Les nombres dansent devant mes yeux durant de longues secondes. Un coup d'œil à ma montre me confirme ce que je craignais. Il est bien deux heures quarante cinq du matin !

Sidéré, j'observe finalement les polycopiés sur lesquels j'ai bavé sans réussir à retenir le rire nerveux qui me gagne. Merde, mais qu'est-ce que je fous encore ici ? Il y a déjà des heures qu'Amy est partie se coucher en me demandant si je comptais la rejoindre bientôt. J'ai répondu que j'arrivais, persuadé qu'il me faudrait peu de temps pour boucler la fin de mes révisions. Résultat : nous sommes au milieu de la nuit, je ne suis toujours pas dans mon lit, et j'ai encore une tonne de travail qui m'attend puisque je viens de perdre plusieurs heures à pioncer au lieu de bosser.

Fait chier !

Je me lève sans faire de bruit pour jeter un coup d'œil dans le couloir. La porte de notre chambre est fermée, signe qu'Amy m'en veut de se retrouver une fois de plus seule de l'autre côté. Comme si le message n'était pas assez clair, je remarque en m'approchant que mon oreiller et mon vieux duvet troué ont été déposés juste à côté. Je geins presque de désespoir en imaginant la fin de la nuit qui m'attend sur le canapé... À supposer que je puisse encore envisager de me coucher étant donné l'heure qu'il est.

Abattu, je laisse mon front taper contre le battant de la porte. Je n'ose pas l'ouvrir, n'ayant pas le courage d'affronter la colère et les reproches d'Amy ce soir. Mes doigts glissent sur le bois, alors que c'est du contact de sa peau que je me languis. Elle me manque. J'ai l'impression de ne pas l'avoir touchée, sentie, aimée, depuis des semaines. Notre relation se dégrade et c'est entièrement de ma faute. Je ne suis déjà pas vraiment présent pour elle au quotidien, mais c'est encore pire à chaque nouvelle période d'examens. Je continue de m'éloigner, mois après mois, année après année. Et bien qu'elle persiste à ne pas me le reprocher, cela ne veut pour autant pas dire qu'elle me pardonne de ne pas la faire passer en premier. Pourquoi, sinon, aurais-je de plus en plus de mal à la rattraper ?

Je suis en train de la perdre, et ça me fout une trouille monstre. Je ne sais pas si je pourrais supporter qu'elle me quitte. Je l'aime tellement cette fille, que parfois j'en ai mal de trop l'adorer. Et je ne comprends pas pourquoi, en sachant que je suis en train de tout bousiller, je n'arrive pas à faire d'elle mon unique priorité. Pourquoi est-ce que je reste planté comme un con dans le couloir au lieu de la rejoindre ? Pourquoi je récupère le cousin qui gît à mes pieds pour aller le balancer sur ce foutu canapé au lieu de la réveiller et de m'excuser ?