Chapitre 1

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De Claudine Mistral. Non libre de droits


Isabelle se promène dans la forêt de chênes et de hêtres au-dessus de la ville. Elle cueille du houx, quelques pâquerettes, distraite au chant des oiseaux alors que les feuilles jaunies tombent au sol. L'automne est arrivé plus vite qu'elle ne l'envisageait cette année. De petites tornades ensoleillées la précèdent et caressent ses jambes. Elle sort de la poche de sa jupe une petite photo de Mathéo, un grand brun au sourire éclatant, la porte à son cœur. Elle s'arrête quelques instants pour fermer les yeux en repensant à un doux souvenir. Ses mains, ses bras, ses lèvres lui manquent cruellement. Où est-il en ce moment ? Son bateau suit-il le bon cap ?

La course nautique dans laquelle son amant s'est engagé est l'une des plus périlleuses, aux confins des océans, là où Poséidon peut déchainer sa colère ou être aussi doux que la fourrure d'un chat. Ces mers lointaines, ses maîtresses dont Isabelle a toujours été jalouse. Lui soustraire Mathéo pendant des mois la rend folle d'angoisse et si triste que les larmes coulent parfois sans discontinuer. La passion la ronge pendant ces absences. Mais la jeune femme aime son marin depuis six ans, elle refuse de se plaindre mais attend ses retours avec toujours plus d'impatience.

Isabelle imagine leurs retrouvailles au quai. Elle choisit déjà les vêtements qu'elle portera. Sa jolie robe de lin blanc, sa courte veste à franges au crochet, ses sandales à talon. Ses cheveux roux seront retenus en un chignon sur sa nuque sous un chapeau de paille au large bord. Comme d'habitude, elle maquillera ses yeux de rose afin de rehausser le vert de son regard, peindra ses lèvres d'un léger rouge et offrira à Mathéo son plus éclatant sourire. Mais aujourd'hui, les voiles de son amant sont encore loin de son cœur. La mélancolie étreint sa poitrine et ses espoirs de vie commune dans une jolie maison au bord de l'océan, où les cris de leurs enfants raisonneront. Combien de temps va-t-elle encore l'attendre ?

Au retour de sa promenade introspective, Isabelle apprécie la chaleur de son cottage, petit cocon de douceur. Alors qu'elle se réchauffe devant une belle flambée, sa nièce, petite furie, arrive en courant et se jette dans ses bras. L'onde de choc sort la jeune femme de ses idées noires. Elle s'agenouille et attrape le visage jovial de l'enfant pour l'embrasser tendrement. Puis elle l'entraine dans la cuisine, sort du beurre, de la farine, des œufs...

« Oh ! Tati Isa, on fait des sablés dorés ! » La petite fille se lèche déjà les babines et la cuisine devient vite un champ de bataille... ustensiles, nuages de farine, coquilles d'œufs, poussière de sucre, rires enjoués. La maison résonne de cris de joie. Isabelle est heureuse. Karen commence enfin à se calmer lorsque les deux plaques de biscuits dorent au four.

Philippe, le père de la petite fille, arrive juste à temps pour partager les gâteaux, accompagnés d'un thé noir au salon. Il aime s'installer dans le fauteuil près de la cheminée pour se perdre au milieu des flammes dansantes. Il se remémore les corps des danseurs de l'Opéra Garnier où il a travaillé comme régisseur pendant presque vingt ans. Que de belles années à admirer les ballets, le travail des chorégraphes, le labeur des danseurs. Que de colères, d'exigences, de pleurs...

Il y avait rencontré Lucie, la mère de Karen, éblouissante danseuse étoile, au corps longiligne, au port de tête altier, aux longs cheveux blonds. Ils s'aimèrent d'un amour véritable, une passion dévorante. Au bout de quelques mois, Lucie avait dû choisir entre une brillante carrière et la maternité. Sans regret, elle avait opté pour le second choix. Ils s'étaient mariés simplement en Bretagne.

Malheureusement, leur bonheur avait été de courte durée. Une maladie foudroyante, un cancer du sein, emporta en très peu de mois la jeune femme, laissant Philippe avec leur fillette de quatre ans. Sa sœur, Isabelle, l'avait heureusement soutenu. Journaliste à Brest et vivant à Landerneau, une petite ville de Bretagne, elle les avait accueillis en sa demeure. L'enfant grandissait depuis cinq ans dans une maison sereine et remplie d'amour.

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