Sans un bruit, sans alerter ceux qu'il venait de surprendre, il se retira. Il déciderait de ce qu'il ferait de cette révélation, il en discuterait avec sa conscience, et laissait la lune, et son œil unique porté sur les événements, témoin du reste.

***

Priam traversa les couloirs du château d'un pas vif. Dans son empressement, il manqua de renverser un vicomte qui, dans un excès de zèle, l'arrosa d'injures colorés. Des références à sa bâtardise, évidemment, il n'y échappait jamais, mais également à la couleur inhabituelle par ici, de sa peau. Il ne ralentit même pas, ce qui lui valut quelques regards courroucés qui ne l'atteignirent pas.

Ce palais était, aux yeux de l'adolescent, un lieu hostile, qui lui voulait une haine toute personnelle. Il ne rassemblait pas les conditions qui auraient fait de lui un parfait noble. Son père n'avait pas eu la bienséance d'épouser une riche héritière afin de nouer quelques alliances qui auraient profité à la famille royale. Non, il avait préféré la compagnie d'une femme de rien qui lui avait, selon les paroles des courtisans, ouvert les cuisses. Des propos injurieux que personne ne blâmait, puisqu'ici, on se battait à coup de toilettes somptueuses et de conversations finement élaborées. La moindre proie facile servait de victimes à ces vautours affamés de scandales et de luxe.

Priam savait que si Calypso ne l'avait pas pris sous son aile à son arrivée au palais, s'il n'était pas devenu sa pupille en plus de celle du roi, privilège accordé à contrecœur, la situation aurait été bien pire. On se retenait de lui mener la vie dure par crainte, mais il lisait dans ces regards une haine incompréhensible. Du haut de ses quinze ans, il ne comprenait pas cette haine, il la savait seulement injuste et prompte à mener aux pires agissements.

Ce jour-là, Priam tenait peut-être le moyen de prouver sa valeur et d'accomplir le premier acte qui le distinguerait de sa condition d'enfant illégitime. Il avait écumé tout le palais, des salons à la salle de musique en passant par les jardins, sans y trouver sa tante. Calypso était introuvable et la bouche de sa pupille brûlait des révélations qu'il détenait.

Il finit par déboucher sur les bains royaux et, en particulier, sur l'entrée de la partie féminine de ces lieux. Un rougissement embrasa ses joues à mesure qu'il réalisait qu'il n'était pas convenable de prendre racine à proximité de cette pièce et encore moins d'y pénétrer. Si quelqu'un le surprenait ici, c'en était fait de sa relative tranquillité pour les semaines à venir. Il n'eut cependant pas le temps de revenir sur cette erreur de jugement qu'une voix le tira de sa rêverie :

— Eh bien, qu'avons-nous là ? Ne serait-ce donc pas le bâtard de notre regretté prince ?

Priam se retourna si vite que sa nuque émit un douloureux craquement. Une femme, seule, s'était glissée à ses côtés. Ses cheveux retenus par un nœud raffiné, elle esquissait un sourire calculateur. Elle était une jeune femme tout juste mariée, désargentée, et visiblement malheureuse en ménage. Une vipère qui s'aigrissait avant l'heure et qui ne laisserait pas échapper sa chance de triompher à nouveau. Elle consulta les alentours, en particulier l'angle du couloir situé à quelques pas, s'assura que personne ne serait témoin du venin de ses paroles, avant de le déverser :

— Mais que fais-tu donc ici, dis-moi ? Tu n'ignores pas que ces bains sont réservés à des individus de sexe féminin, n'est-ce pas ? Des femmes de qualité, de surcroît, à moins que tu ne désires séduire l'une d'elle ? Sans cette peau hideuse, tu ferais un bon amant, dommage pour toi ! Il te faudra te contenter d'une domestique, d'une de ces femmes de chambre à l'humeur légère comme l'était ta mère, qu'en dis-tu ?

Priam déglutit une salive acide qui lui brûla la gorge. Cette femme était odieuse et si sa poitrine n'avait pas été si serrée à l'évocation de sa mère, il aurait volontiers pris la parole. Il savait cependant qu'une telle prise de risque ne serait pas tolérée. Calypso le protégeait autant qu'elle le pouvait, mais tant qu'il restait effacé, invisible, s'il lui prenait l'envie d'exister un peu plus fort, elle ne pourrait plus rien pour lui.

Longue vie au roi [BxB]Donde viven las historias. Descúbrelo ahora