Chapitre 4

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La nuit fut brève.

L'ivresse de l'oubli se retira aux premières lueurs de l'aube. Les couleurs délavées de l'aurore cajolèrent le visage de Lyssandre et il n'en fallut pas davantage à son esprit pour se rappeler à lui.

Hier, il avait été fait roi.

Cette pensée, presque anodine, combla le vide de son estomac d'une angoisse sourde. L'espace d'un instant, il ne fut plus capable de songer à quoi que ce fut d'autre. Puis, il ressentit une sorte de rancœur dirigée vers feu Soann, son père. Pourquoi ne l'avait-il pas préparé à cela ? Pourquoi avait-il refusé l'évidence au point de ne pas expliquer à son fils ce que c'était être roi ?

Lyssandre quitta l'étreinte paresseuse de ses draps avec cette pensée implantée au creux de lui. Elle grandit à chaque pas, à mesure qu'il s'autorisait à réfléchir. Il pourrait fuir, s'exiler loin de ce fardeau, mais en vérité, Lyssandre en était incapable. Il lui aurait fallu davantage de bravoure et il se sentait écrasé par le devoir, par la lignée royale dont il était issu, par l'obligation. Il se sentit comme un ouvrier face à une longue journée de labeur, sans autre choix que celui qui le mettrait au travail.

Régner était un métier qu'il n'avait pas appris à exercer, mais à l'image de bien d'autres, il ne se refusait pas.

Lyssandre se vêtit, non sans l'aide de quelques aides silencieuses. Des mains froides, rigoureusement professionnelles, qui ne remplaceraient pas les étreintes rassurantes dont le jeune homme avait besoin. Il tâcha de se détacher de ses émotions et d'agir comme le faisait ces employés discrets et dévoués. Il tâcha d'occulter tout ce qui se soustrayait à son devoir et, momentanément, il y parvint.

Le palais s'éveillait, rompu de fatigue après la fête magistrale de la veille. Les plus matinaux investissaient déjà les lieux, mais il s'agissait surtout de gardes et de servants affairés à effacer les joyeux vestiges abandonnés par les invités. La plupart quitterait le château dans la journée, d'autres s'y éterniseraient avec la délicieuse sensation d'être privilégiés et ils ne manqueraient pas de s'en vanter ailleurs. Au fond, la place de roi n'était au cœur de ce système bien rodé qu'une formalité. Ils se passaient aisément de lui, mais Lyssandre ne tarderait plus à comprendre que ses sujets savaient se montrer prompts à se rappeler de son existence. Uniquement lorsque leur petit confort, leur chère sécurité, étaient compromises.

Le jeune souverain quitta les appartements royaux et descendit ce qui était communément appelé l'entrée du roi. Il s'agissait d'un escalier à deux branches que seul le roi et sa famille étaient amenés à emprunter. Soann et ses prédécesseurs y avaient inscrit leurs goûts personnels, avec un mélange plus rustique avec quelques rares touches de bois, mais surtout des ornementations délicates. La rampe, finement décorée d'arabesques, de minuscules détails sculptés, en formait un juste exemple. Lyssandre y passa sa main, y glissa ses doigts, comme pour apprivoiser l'âme de ce palais.

Il traversa ensuite les couloirs qui menaient aux salons et à la salle de bal pour atteindre finalement ce qu'il était venu chercher : le bureau royal. L'endroit que lui-même avait connu enfant, lorsqu'il guettait la sortie de son père sans oser déranger la figure paternelle sérieuse et peu encline aux jeux. Il en poussa la porte et esquissa un pas pour se frayer un passage à l'intérieur. La pièce avait été laissée intacte, à l'image même de celle que Lyssandre avait abandonnée dans les méandres de ses souvenirs d'enfance. Une pièce qui s'ouvrait sur des larges fenêtres, un bureau massif installé face à la porte et une flanquée de marches pour y parvenir.

Une pile de documents attendait patiemment sa venue et Lyssandre y jeta un œil incertain. Il s'agissait de comptes provenant de provinces de l'Ouest du Royaume avec les chiffres de l'or récoltés à l'occasion des derniers impôts. Qu'était-il supposé en faire ? Approuver les données, les discuter, ou encore simplement en prendre connaissance ? Lyssandre poursuivit sa reconnaissance des lieux, transi par le vide qu'évoquait ce vaste bureau. Dépouillé de la présence de son père, l'atmosphère n'était plus que studieuse, un brin effrayante, mais sans l'empreinte caractéristique et propre à Soann.

Longue vie au roi [BxB]Where stories live. Discover now