Vampiris Sanguinare T1 | y.seok - n.gi

27.

[...]

Yoongi traversa la basse-cour humide en toute hâte, forçant ses genoux mous à se plier et se déplier à chaque pas. Après avoir déposé le livre et les parchemins vierges dans sa chambre, il avait filé dehors d'un pas sans énergie, n'ayant pas la force de courir. Une très fine pluie commençait à tomber, mais Yoongi arriva à l'intérieur des écuries sans même en sentir le froid sur sa peau. Comme il avait été libéré en avance, il n'y avait pas de risque que sire Jung vienne le chercher ici avant un moment. C'était une aubaine.

Néanmoins, Yoongi fut déçu de constater qu'il n'était pas seul; deux palefreniers discutaient bruyamment à l'entrée. Ils saluèrent Yoongi à son approche, puis repartirent dans leur grande discussion. En tendant une oreille attentive, l'écuyer comprit que les deux tire-au-flanc débattaient des rumeurs banales. Il paraitrait qu'une dame venait parfois rôder dans les alentours.

Yoongi ne les écoutait déjà plus. Il se saisit d'un seau vide et alla piocher dans les réserves de fourrage, la tête bourdonnante de fatigue. Puis il alla s'enfiler dans le boxe du cheval de sire Jung. L'animal l'accueillit d'un appel sourd, presque nerveux. Il eut de la peine à soulever le seau pour verser le contenu dans la mangeoire. Il sentait ses muscles le tirer et il avait des fourmis dans les mains. Au lieu de brosser la monture, il se les frotta pour essayer de chasser cette sensation désagréable. Il ne sentait pas très bien.

Yoongi s'appuya au mur pour sortir du boxe. À l'entrée des écuries, les deux palefreniers discutaient toujours et aucun ne le vit traverser mollement le couloir pour entrer dans une autre stable, celle où il dormait avant de déménager au château. Il y faisait pratiquement noir. L'écuyer huma l'air poussiéreux, essayant de repérer du mouvement dans la paille. Il se força à déployer le peu de ses forces pour aiguiser ses sens, ce qui lui apparut étrangement facile. Ses mains le démangèrent affreusement et ses gencives commençaient à le lancer. Yoongi fit un pas furtif en avant, presque inaudible, avant de s'élancer comme un chat, les mains en avant.

Il atterrit dans la paille dans un bruissement et ses doigts s'étaient déjà refermés sur le corps d'un rat maigrelet. La bestiole se débattit furieusement, sans succès; Yoongi enfonçait déjà ses dents dans sa chair. Puis il rejeta le cadavre dans un coin sans lumière et se redressa, le souffle court. Il déglutit, à la fois assoiffé et dégoûté. Ce n'était pas suffisant et les poils crasseux du rat collaient à sa bouche. Il cracha par terre et sortit de la stable comme s'il savait où il allait. Il entra dans un second boxe vide, celui où dormait habituellement les deux palefreniers. Yoongi sentait leur odeur partout sur les paillasses. Ses yeux scrutèrent à nouveau la pénombre et il repéra un autre rat qui venait de se faufiler entre une paire de botte. L'écuyer se tendit et bondit par instinct.

À l'instant même où ses mains se refermaient comme un piège sur la créature, Yoongi fut alerté par une présence proche. Il lâcha ce qu'il tenait et eut à peine le temps de retourner que que la silhouette de sire Jung arriva à l'entrée du boxe.

« Qu'est-ce que tu fais ? grinça-t-il en approchant. Et par terre, qui plus est ! Relève-toi, par les dieux. »

Yoongi resta à genoux sans pouvoir se relever. Il ne s'en sentait pas la force, tout à coup. Toute l'adrénaline de la chasse s'était évanouie en laissant ses muscles mous, sous alimentés en énergie. Un maigre rat, voilà tout ce qu'il avait pu attraper ! Frustré, l'écuyer eut envie de se plaindre longuement de ne pas avoir eu plus de temps seul. Mais le chevalier n'en aurait eu que faire de ses plaintes. Ce dernier le saisit par le coude et le força à se lever. Il le tira vers le haut avec une étrange facilité, tant Yoongi était amorphe.

« Par les dieux, jura encore sévèrement sire Jung. Tu as les mains couvertes de poussière ! »

Alors qu'il inspectait ses paumes avec un intérêt exagéré, Yoongi, lui, observait autre chose. Son regard s'accrocha au cou du chevalier et à la veine qu'il voyait affleurer sous sa peau, juste sous la chaîne délicate de son collier. Ça serait si facile. Yoongi sursauta en sentant qu'on lui tapa brusquement sur les doigts.

« Viens par là. »

Sire Jung agrippa le poignet de son écuyer comme avec un enfant et le tira dehors. Ils passèrent devant les deux palefreniers à présent muets et qui semblaient faire mine de balayer sérieusement les environs. Ils jetèrent un regard curieux à Yoongi, qui n'avait de la force que pour suivre les pas du chevalier et baisser la tête. Celui-ci l'emmena à l'extérieur, sous la fine bruine. Il lâcha son poignet un peu brusquement.

« Je veux que tu fasses visiter les alentours à quelqu'un. »

Le cerveau embrumé, Yoongi fronça les sourcils. Il passa ses doigts sales et tremblants sur sa joue froide.

« À qui ? marmonna-t-il.

– Tu le connais déjà, soupira le chevalier. Tiens, le voilà. Je lui avais pourtant demandé d'attendre ici, mais on dirait bien qu'il est déjà parti vagabonder. »

Un jeune homme trottinait dans leur direction en provenance des portes de la basse-cour. Yoongi eut beaucoup de mal à assimiler qu'il s'agissait tout bonnement de Taehyung dans sa cape pleine de bouloches.

« Mes excuses, messire ! lança le vagabond en arrivant à leur hauteur. Je ne pouvais pas résister à la vue qu'offre le château depuis les portes ! Il semble plus grand encore quand on se tient à ses pieds.

– C'est cela, bougonna le chevalier en croisant durement les bras sur son torse. Tâchez de vous tenir à carreau. La demeure de notre suzerain n'est pas un terrain de jeu. Suis-je bien clair ?

– Clair comme de l'eau de roche monseigneur, assura Taehyung, sans perdre une once d'enthousiasme. Mon maître et moi vous remercions d'une telle générosité.

– Bien. Mon écuyer vous montrera les alentours, mais ne le retenez pas trop longtemps. Il a du travail. »

Le chevalier se tourna ensuite vers Yoongi et son regard l'examina. Un éclair de suspicion passa sur ses traits, avant que l'écuyer n'essuie sa bouche avec sa manche; heureusement, ça ne laissa aucune trace de sang.

« Va te débarbouiller, dit tout de même le chevalier, qui parlait clairement de saleté et pas d'autre chose. Je ne peux pas admettre que tu te promènes dans les couloirs avec une telle dégaine plus longtemps. Si je te revois avec ne serait-ce qu'une seule once de saleté... »

Il ne termina pas sa menace, mais Yoongi la jugea bien assez explicite. Sire Jung huma, puis se détourna avec raideur pour s'éloigner rapidement des deux garçons. Taehyung le fixa jusqu'à ce que le noiraud disparaisse par les portes menant à la cour intérieure.

« Tu as une mine affreuse, dit-il ensuite à Yoongi comme s'il s'agissait d'un compliment, avec un large sourire.

– Je sais, grogna l'écuyer.

– Alors, tu me fais visiter ? »

Yoongi haussa les épaules. Avait-il vraiment le choix ?