Destination interdite (Tome 1 - La Tour)

3 mois plus tôt - Guet-apens dans la boue

L'incident s'était produit trois mois plus tôt.

Si ce matin-là, on avait raconté à Léone qu'elle escaladerait d'ici peu la Tour au péril de sa vie, jamais elle n'y aurait cru. Elle en aurait même ri ! Un tel projet paraissait ubuesque, surréaliste. À sa décharge, il est difficile de prédire l'avenir, y compris nos propres réactions lorsque les choses commencent à mal tourner.

Or... Les choses avaient complètement merdées.

Ce dérapage survint au beau milieu d'une journée qui, de prime abord, parut identique à toutes les autres. Vous savez ? Ce genre de journée où vous êtes heureux d'être en vie. Juste comme ça. Sans raison particulière, tout semble beau, précieux.

Comme souvent, ce matin-là, Léone ouvrit les yeux la première et contempla sa cadette paisiblement assoupie. « On dirait un ange » songea l'aînée en détaillant son adorable visage. Elle sourit, charmée, puis du bout des doigts, secoua l'épaule de sa jeune sœur. Céleste émit un gémissement sonore - elle n'avait pas franchement envie de se réveiller.

- On a prévu d'aller chez le fournisseur en matériaux de Mak'. Tu voulais venir avec nous, tu t'souviens ? Si tu veux rester dormir, on peut y aller sans toi... glissa malicieusement Léone au creux son oreille.

Ni une ni deux, les paupières de Céleste s'ouvrirent grand ! L'enfant sauta hors du lit comme un ressort ! Léone gloussa. Sa cadette l'avait tannée tout hier pour les accompagner et percer les secrets de l'artificier. Elle était si prévisible...

- Ça va, y'a pas l'feu. Remet au moins ton tee-shirt dans l'bon sens, se moqua Léone.

Céleste bougonna. Elle n'aimait pas qu'on se fiche d'elle. Sa fierté de petite fille ne comptait pas pour du beurre.

Habillées, les sœurs traversèrent l'appartement sur la pointe des pieds pour ne pas réveiller la compagnie. Sortir accidentellement Ania du sommeil, c'était la baffe assurée. Elles aboutirent dans la cuisine. Une immense table ronde en bois encombrait l'espace, autour de laquelle les Renards se réunissaient pour de maigres gueuletons. Depuis l'arrière-cuisine, on entendait le caquètement de leurs poules. Makoo était déjà levé, il leur préparait un encas. L'odeur du bois brûlé dans le fourneau se mêlait à celle de la nourriture. C'était appétissant. Céleste se précipita sur sa chaise et engouffra les œufs cocotte servis par le métis.

- T'as l'air bien pressée c'matin, Céleste. Tu vas quelque part ? lui demanda Makoo en jetant un coup d'œil complice à Léone.

Céleste le dévisagea avec méfiance. Ne se souvenait-il pas que Léone avait donné son accord hier pour leur sortie, ou était-il en train de blaguer ? Elle entendit sa sœur aînée glousser et l'enfant bougonna une seconde fois. Oui, ils se fichaient d'elle. Encore ! Céleste reprit donc à manger du plus vite qu'elle put. Le jeune homme tendit une assiette à Léone, la seule saupoudrée d'un peu de poivre. La petite sut qu'il y avait du favoritisme de la part de Makoo, mais aimait qu'il y ait quelqu'un pour prendre soin de « Léon ». Le métis s'assit à côté de la jolie brune. C'était sa place. Autour de la table ronde, chacun avait la sienne et en changer aurait créé tout un scandale. Cette habitude était tenace au point que les Renards avait tous gravé leur prénom au couteau sur leur coin de table. Léone aimait glisser le bout de son index dans le creux des lettres de son prénom signé dans le bois. Cela lui rappelait qu'elle et Céleste avaient une nouvelle maison, un nouveau Cercle.

Le petit-déjeuner terminé, ils sortirent tous les trois du Terrier avec la discrétion habituelle.

- Il va pleuvoir, constata immédiatement Léone en levant le bout de son nez vers le ciel rocheux.