Mozart - 5

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 Comme elle, j'aurais voulu perdre connaissance, ne rien savoir de la douleur, des gémissements d'agonie, du bruit du métal que l'on tord, du verre qui se brise... Des pompiers qui tentent de dissimuler leurs inquiétudes pour ne pas me faire paniquer, des heures pour me sortir de l'habitacle. Pourquoi a-t-il fallu que ma jambe se retrouve coincée entre le siège et la carrosserie enfoncée ?

J'ai fini seul à l'intérieur, les autres n'avaient que des blessures superficielles, mon pote a dû garder ses distances pour ne pas les gêner. L'état de Colyna semblait préoccupant, mais ils l'ont emmené bien avant moi. Sans distraction, difficile à ignorer mes membres hurlant leur désir d'être libérés. J'entends encore mes cris de douleur lorsqu'ils m'ont extrait de la limousine pour m'installer sur un brancard, je les revois s'activer pour empêcher le sang de quitter mon corps.

Mes fringues n'ont pas fait long feu, personne ne s'est soucié de ma chemise hors de prix, les ciseaux lui ont réglé son compte en un rien de temps et je n'ai même pas eu la force de protester. On m'a branché de partout, sans jamais cesser de me rappeler de ne pas m'inquiéter. N'ont-ils réellement pas conscience de leur air paniqué ?

Notre arrivée en trombe à l'hôpital n'est pas non plus passée inaperçue, et ils voudraient que je les croie ! Quand tout va bien, on ne vous accueille pas dans un tel remue-ménage ! J'ai cru devenir dingue en les observant défiler pour vérifier l'ampleur des dégâts, se chamailler sur la marche à suivre. C'est de ma vie qu'il s'agit et personne ne me demande mon avis ! J'aurais voulu leur hurler que j'allais bien, même si c'était loin d'être le cas ! Je n'ai jamais eu autant mal de ma vie et pourtant, je sais qu'ils m'ont déjà bien drogué.

Après plusieurs radios, on m'a plâtré le bras droit sans trop discuter, mais pour ma jambe ça a été plus compliqué. J'ai à peine osé regarder, mais le peu que j'en ai vu était loin d'être rassurant. De la chair mâchée, bleuie, du sang coagulé, elle était foutue, j'en étais convaincu, mais ce n'était pas pour autant que je désirais l'entendre. « Il est possible que tu ne puisses pas la garder », avait fini par préciser le médecin avant de m'annoncer qu'il fallait opérer.

C'est fait. Je viens de remonter du bloc, je suis encore groggy, mais suffisamment conscient pour savoir que tout est déjà joué. Sur le coup, je crois qu'elle est encore là, je la sens, mon pied me démange, le sang pulse dans mon mollet et j'ai envie de rire, puis je croise le regard embué de ma mère et je doute à nouveau.

Elle s'est peut-être simplement inquiétée. Il est tôt, le jour est à peine levé et ma mère est accoutrée de l'un de ses ensembles confortables qu'elle ne porte que pour rester à la maison, ils ont dû la réveiller. C'est sûrement ce qui explique son air affolé. Mais alors pourquoi s'agite-t-elle sur ce fauteuil dans cette chambre étriquée ?

Elle tente de me sourire tandis que deux infirmières positionnent mon lit, vérifie mes perfusions. Leur manège aurait dû me distraire, mais j'ai perçu son rapide coup d'œil sur le bas de mon corps et je recommence à paniquer. Je l'ai sentie pourtant ! Mais il suffit d'observer le draps étonnamment plat à cet endroit pour comprendre qu'il manque quelque chose. À mi-cuisse, le tissu retrouve le matelas et je suffoque.

– Ils me l'ont enlevée ? je murmure en réprimant les larmes qui me brûlent les yeux.

Ma mère ne laisse pas aux infirmières le temps de s'éloigner, elle est déjà sur le lit, ses bras autour de moi, et je sens bien qu'elle aussi se retient de pleurer.

– Ils n'avaient pas le choix.

C'est sûrement vrai, mais ça ne me soulage pas. Elle n'est plus là, je ne suis plus entier, plus moi et j'ignore comment gérer ça. Toute ma vie, mon avenir me semble compromis, ça me rend dingue. Je voudrais tout envoyer voler, je voudrais hurler, mais la moitié de mon corps est immobilisé et elle est contre moi, je ne souhaite pas l'effrayer. Alors je tente de songer à autre chose, mais tout ce qui me vient c'est l'accident, les cris, le choc et la douleur bien trop présente encore. C'est comme si ma jambe était encore là.

BrokenWhere stories live. Discover now