II.Sport et abnégation

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La suite du trajet vers Port Marianne fût bien plus agréable ! Moi, grand fan d'Harry Potter, pouvoir parler de cette passion -en allant à un entraînement de quidditch- avec un inconnu qui répond à mes références par d'autres références ... Waouh ! Il n'a pas lu les livres, bien sûr, mais il a bien vu les films !

J'ai alors comme un pressentiment ... Comme quoi ce gars, ce Bernardo, allait changer une petite partie de moi-même.

Au bout de quelques minutes nous finissons notre discussion sur un petit "eh ouais" synonyme de léger malaise. Je vois alors ses yeux se perdre dans ses pensées mais je n'ai qu'une envie : continuer à parler à Bernardo ! Je tente de suivre son regard mais il ne me cause plus, il semble maintenant perdu dans l'infini de choses qu'il se passe dehors. Mais, d'un coup, ses yeux se fixent sur quelque chose ... Ou plutôt, quelqu'un dehors ! Un homme, la petite trentaine, avec un t-shirt moulant et laissant paraître des biceps saillants d'abonné de salle de sport.

Mon ami inspire alors (comme l'on fait avant de recommencer à parler), je décide de lui montrer que c'est moi, maintenant, qui boit ses paroles.
"Tu vois, lui aussi il fait (il mime des guillemets avec ses doigts) "du sport !" Vu ce qu'il pleut, il ferait mieux de courir d'ailleurs ! À moins que ce soit une technique pour sécher la douche à la salle ... Ahah ! Sécher la douche !"
Bernardo se rend compte alors que les gens autour de nous portent maintenant attention à ce que l'on dit. À son sourire en coin, on aurait dit qu'il attribuait ça à son jeu de mot. Pour ma part, je crois que c'est plus dû au temps morose : nos compagnons de voyage doivent être heureux de voir leur trajet agrémenté d'une discussion impromptue entre deux inconnus. Un trajet qui s'annonçait pénible pour eux, à l'heure du retour du boulot, un mardi soir, pluvieux, froid ; bref, voir deux personnes parler de sujets tellement légers, ça doit avoir un effet bénéfique, non ?

Et lui de repartir :
"Tu vas à la salle de sport toi ?
-Euh ..."
Pendant ce long "euh", j'ai essayé de me rappeler des fois où je suis allé dans un de ces endroits : une fois pour tester, une fois pour attendre une pote, une fois pour manger à la cafétéria de la salle ... Trois fois, trois mauvais moments ! La première fois, je me suis bloqué le doigt dans une machine : 3 jours sans pouvoir jouer aux jeux-vidéos. La deuxième fois, j'ai attendu si longtemps que le gérant m'a proposé une barre de céréales et de la Powerade. Enfin, la troisième fois, je me suis étouffé avec une bouchée de dinde ... Je repris donc :
"Non, pas tellement. Je préfère les sport avec des ballons !
-Ouais, bah, t'as raison ! Cavaler sur un tapis, ça sert pas à grand chose, tu peux même pas profiter du paysage quoi ! Et puis, faire du muscle pour faire du muscle, c'est un peu nul, non ? 'Fin j'veux dire : après, tu en fais quoi à part marcher sous la pluie dans un t-shirt saillant et un sac de sport blanc d'une marque de (il recommence avec ses doigts) luxe ? Du coup, tu préfère les sports collectifs ?
-Oui ! Largement ! J'ai fait du tennis mais ...
-T'as raison ! Moi, j'ai fait pas mal de foot, et un peu de patin aussi, mais ça on s'en fiche ... Et au foot, bah les muscles, ça servait à rien ! Enfin ... Fallait être musclé, quoi, pour tenir sur le terrain, mais pas excessivement quoi ! Et puis, par rapport à la salle de sport, on avait des valeurs, nous ! Bon ... c'est peut-être un truc en commun avec tous les sports collectifs, mais quand même ! Le partage, l'esprit collectif, la cohésion, l'abnégation ... Tiens ! L'abnégation ! Tu sais ce que c'est ?
-Moui ...
-C'est la meilleure des valeurs qu'on m'ait appris à l'époque ! Regarde sur ton portable-là ! Regarde la définition !"

Je m'empresse de ressortir mon téléphone et de me rendre sur Wikipedia. Observant mon écran, Bernardo commence à m'épeler :
"A ... B ... Né ... Gation. Voilà ! Alors ? Il dit quoi ?
-Renoncement, sacrifice.
-Oui ! C'est ça ! C'est génial ! Renoncer à soi pour l'équipe ... Ça, ça sert dans la vie. Tu apprends ça à huit ans, tu pars bien dans la vie ! Non, parce que, eux, les (guillemets avec les doigts) bodybuildeurs, eh bien, le sens du sacrifice ils connaissent pas puisqu'ils sont seuls sur leurs machines. À moins qu'il y en ait un qui se fasse mal, peut-être ... Moi, j'aimerai pas être à leur place, quand je faisais encore du sport, c'était super ! Les déplacements tous les week-ends avec les copains, les interviews ... Un jour, j'me ...
-Pardon ? Vous avez été interviewé ? Mais du coup, vous aviez plutôt un bon niveau non ?
-Ouah ... Tu sais ce que c'est ! (Non, je sais pas, non ...) On avait fait plusieurs bons résultats et on avait fait parler de nous ... Mais rien de foufou !"
Je sens qu'il veut m'en dire plus, mais, avec son regard qui se jette alternativement sur moi et sur autre chose, que je vais devoir lui faire cracher le morceau ! Je décide de continuer notre petit jeu :
"Comment ça ? Quels résultats ? dis-je feignant le naturel.
-Eh bien ... On avait joué quelques matches de Coupe de France, on avait gagné les Canaris, tu sais ? Les nantais.
-Oui.
-On était considérés comme les outsiders de la Coupe ! On parlait de nous et on avait plein de nouveaux supporters ..."
Il expire fort en baissant la tête, le regard dans ses bras ballants, avant de lâcher dans un souffle :
"Mais après on a perdu contre Bordeaux ... Je hais les bordelais ...
-Port Marianne."
C'était la voix de la dame du tram ... Il fallait que je quitte mon ami d'un temps ...

"Au revoir, Bernardo ! Ce fût un plaisir."
Il me tend sa main, je la serre en retour.
"Eh bien ! Plaisir partagé, jeune. Bon quidditch !"

Je me presse de sortir de la rame avant qu'elle ne se referme. Cinq minutes plus tard, me voilà à l'entraînement, crampons chaussés, pensant à Bernardo laçant les siens avant d'affronter les terribles bordelais.

***

À la fin de l'entraînement, le coach, comme d'habitude, nous réunit pour débriefer la séance. Je n'ai alors à la bouche qu'un mot : abnégation, abnégation, abnégation. Il fallait que l'on fasse preuve d'abnégation. Que ce soit en match, mais même à l'entraînement, même quand c'est dur, comme ce soir, à cause du temps. Abnégation, comme le disait mon ami Bernardo.

Je me lance dans le trajet retour. Attrape rapidement mon tram, pas de Bernardo à bord ... C'est pourtant le souhait que j'avais ! Pendant tout le trajet, pas de Bernardo. Je rentre chez moi, branche mon ordinateur et passe à autre chose, gardant cette aventure montpelliéraine dans un coin de ma tête. Je me languis du prochain entraînement, pour -peut-être, mais avec peu de certitudes- recroiser Bernardo. Je me languis de savoir pourquoi tant de haine envers les bordelais ... Où même autre chose ! Un autre sujet intéressant à partager avec cet inconnu-là le temps d'un trajet.

À SUIVRE

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⏰ Last updated: Jun 10, 2021 ⏰

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