Chronos

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Le soleil commence à poindre au bout de la rue. Dans quelques semaines, il n'accompagnera plus Keola jusqu'au métro. Elle aura pour seule compagne son ombre, projetée sur les murs par la lumière froide des lampadaires. En attendant ces jours glaçants, elle s'entoure de la chaleur réconfortante des rayons du soleil. Les écouteurs dans les oreilles, son cerveau est inondé par le rythme pressant des accords. Les notes coulent du tympan jusqu'à l'âme en manque de réconfort. Elle hoche la tête à l'allure de la mesure quand quelques gouttes effleurent le bout de son nez, annonçant la venue de l'orage au sein de l'orchestre. Elle presse le pas puis court sur les derniers mètres qui la séparent du métro et s'imagine faire la course avec le vent. Elle dévale les escaliers qui l'amènent sur le quai : son train est là. Il ne l'attendra pas.

Elle s'élance vers le couloir principal et coordonne ses pas aux mouvements de ses bras. Son ombre défile sur le mur blanc de briques et semble vouloir faire la course avec elle. En trois foulées, elle se retrouve dans le train et voit déjà la médaille d'or lui tendre les bras.

Silence. Les portes se ferment et abattent sur elle un poids qui affaisse ses épaules. Tout le monde la regarde. Elle halète comme un chien assoiffé, ses joues se teintent d'un rouge vif que même le plus ardent des soleils ne pourrait concurrencer. Elle n'a nulle part où se cacher.

Ses écouteurs sont tombés de ses oreilles. Aucune place libre à l'horizon où se faire oublier, aucun livre entre les mains où se réfugier. Keola avance. A ce moment-là, elle se maudit d'avoir imaginé cette stupide course. Elle aurait pu faire comme tout le monde : prendre son temps et attendre le prochain train où elle serait rentrée avec la dignité de la Reine dAngleterre.

Arrivée à l'autre bout du train, elle s'adosse à la porte et fixe le sol, se concentrant sur sa respiration. Elle voudrait se faire oublier, disparaître, trouver une issue à sa gêne, une porte qui la mènerait dans un autre monde. Les stations passent ainsi que les noms dont on ne connaît pas la signification. Keola reste là à contempler le sol comme si elle y avait aperçu les contours d'un paysage anglais où Van Gogh se baladait, au gré des montagnes mastiquées, jetées ça et là par des géants bien trop grands et méchants pour un si bel espace. Les chewing-gums, encastrés dans le sol noir, faisaient partie de ce paysage urbain et industriel que Keola poétisait.

Voilà Nation. La moitié du train descend. Elle va enfin pouvoir sasseoir et lire.

MétropolitainienneWhere stories live. Discover now