Son plus jeune fils mit la main sur un autre document et se laissa prudemment choir sur le siège. Il se figea dans un sérieux inspiré de celui de son géniteur et lut les quelques lignes manuscrites. Il s'agissait d'archives laissés à son attention, comme pour faire acte de prévention au sujet de la guerre. Les feuillets offraient des chiffres précis au sujet des hommes mobilisés sur le front, des pertes, des dédommagements perçus par la famille du défunt, sur la nourriture qu'il fallait acheminer en grande quantité afin de subvenir aux besoins des soldats. Des informations concrètes, terrifiantes, là où Lyssandre s'était jusqu'alors contenté des faits.

Il n'ignorait pas que Loajess était en guerre depuis une petite éternité. L'autre puissance continentale, Déalym, nourrissait des désirs de conquête au point d'ignorer la présence d'un autre Royaume. Loajess, situé au Nord du continent, occupait un territoire moins vaste, mais profitait d'une terre plus fertile et de richesses plus importantes. Les deux voisins ne s'entendaient pas, au point où nulle âme qui vive ne serait capable de conter comment les différends avaient débuté. Les habitants de Loajess vouaient une méfiance inéluctable à l'égard de Déalym, sinon une haine viscérale et destructrice. La guerre durait depuis un siècle, avec quelques minces périodes de paix factice. Le conflit était si profondément ancré dans les mœurs, dans l'essence même de Loajess, que les rois en faisaient un art au cours de leur règne. Une occasion de marquer l'Histoire, d'y apposer une empreinte sanglante. La guerre se donnait l'allure d'une tradition royale, d'un loisir noble, et Déalym faisait figure d'ennemi héréditaire.

— Premier jour de règne et voilà que ton attention est requise par la guerre. Tu ne t'épargnes rien, Lyssandre.

Sous le coup de la surprise, l'intéressé lâcha l'objet de son attention. Calypso, un sourire narquois planté sur les lèvres, s'était infiltrée à l'intérieur de la pièce et paraissait presque le narguer. Du haut de sa quarantaine bien sonnée, bien qu'elle avoisinait davantage le demi-siècle, sa tante n'avait rien perdu du panache de la jeunesse.

— Je ne vous avais pas entendu entrer. Vous êtes bien matinale, ma tante.

— Et toi, tu t'e enfin décidé à sortir de ta tanière, lui renvoya aimablement Calypso, pimpante, mais bien moins soignée que les courtisanes qui s'attifaient chaque jour avec un soin acharné.

— Je suis navré de vous avoir inquiété.

Lyssandre se pinça les lèvres. Lorsque sa tante s'était glissée à l'intérieur, sans un bruit, d'une discrétion presque dangereuse, elle avait été due étouffer sa surprise. L'espace d'un instant, elle aurait presque cru que son frère était revenu d'entre les morts pour s'affairer à sa tâche une ultime fois. Pas que son fils lui ressemble, mais elle n'en avait pas espéré tant pour un premier jour de règne, surtout après la récalcitrance acharnée qu'avait présenté Lyssandre. Celui-ci tenait davantage de sa mère et Calypso s'en fit la réflexion avec une pointe de nostalgie. Mélissandre avait disparu trop tôt et tous l'avaient oubliée au profit de la nouvelle épouse du roi, Elénaure de Lanceny. Lyssandre en était son reflet parfait, cette grâce délicate avait jadis appartenu à sa mère, tout comme cette beauté rare, princière, cette finesse et cette émouvante fragilité. Le jeune roi avait également hérité de ses traits féminins, de ses cheveux d'un blond lumineux et de son teint pâle, laiteux, semblable à une perle de nacre. Chaque fois que Calypso posait ses yeux sur lui, elle revoyait cette femme et l'amour maternel qu'elle n'avait jamais pu donner à son dernier fils.

— Je suis navré aussi que vous ayez eu à vous occuper des affaires du Royaume à ma place. Vous avez ma parole que cela ne se reproduira plus, je... j'étais simplement démuni.

— Tu l'es toujours.

L'expression de Lyssandre se défit et Calypso ajouta au portrait de celui-ci la fragilité émotionnelle, cette humanité si précieuse, que Mélissandre avait détenue. Conquérant la pièce d'un pas sûr, elle qui n'avait jamais hésité à y pénétrer même lorsque Soann demandait à ne pas être dérangé, Calypso rejoignit le bureau pour ajouter :

Longue vie au roi [BxB]Kde žijí příběhy. Začni objevovat