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- Excuse-moi ?

L'eau avait coulé sous les ponts. J'avais suffisamment détesté cette fille pour une vie entière et je n'avais pas entendu parler d'elle depuis bien longtemps. Pourtant, en la voyant ruiner en une seule phrase tout ce que nous avions construit avec Austin, mon corps se réchauffait bizarrement de ce sentiment que je n'avais pas ressenti depuis un moment : la haine.

- Merci d'être passée, Alyssa. Hein, ça m'a fait plaisir de te voir !

Précipitamment, je la poussai vers la porte, négligeant involontairement la petite main qui pendait au bout de son bras.

- Austin, il faut vraiment qu'on en parle.

Elle ne s'adressait pas à moi et j'avais presque l'impression qu'elle avait oublié ma présence. Elle se détacha de mon emprise en m'ignorant, le regard plongé dans celui de mon fiancé. Je jetai un coup d'œil au petit garçon, la bouche à demi ouverte, dépassé par les évènements.

- Je voudrais que tu quittes cette maison.

Mes muscles commençaient sérieusement à se tendre. Je me sentais oppressée et sa façon de faire comme si je n'existais pas, comme si je n'étais plus chez moi, menaçait de ruiner tous mes efforts pour garder le contrôle de la situation. La jeune fille ne prit pas la peine de répondre et continua tout bonnement de m'ignorer.

- Sors d'ici, s'il-te-plaît.

Ma politesse risquait de foutre le camp à tout moment, en même temps que ma main droite qui pourrait bien caresser sa joue violemment, si elle continuait. Je tournai les yeux vers Austin qui alternait le regard entre Alyssa et le garçon, les yeux complètement sortis de leurs orbites. Je me dis que j'aurais aimé qu'il prenne la parole, qu'il réagisse. Puis je réfléchis et pensai finalement qu'il valait mieux qu'il se taise, pour ne pas risquer de dire de connerie qu'il - ou moi - pourrait regretter.

- Va-t'en.

Cette fois, on entendait bien dans ma voix qu'elle n'avait vraiment pas interêt à tarder, si elle tenait à sortir d'ici intacte. Et pourtant, elle n'en fit rien. Je repassai en boucle sa phrase de « retrouvailles » dans ma tête, histoire d'être sûre que j'avais bien compris tout ce que cela signifiait. Et j'avais bien compris tout ce que cela signifiait.

- Dégage !

Cette fois, je ne plaisantais plus. Je saisis ses épaules violemment et la poussai vers la porte. Dans la rapidité de mon geste, la main du garçon se sépara de celle de notre ancienne camarade de classe et l'enfant prit peur. Devant les cris d'Alyssa qui me hurlait de la lâcher et ceux de mon fiancé qui tentait de me calmer, il éclata dans de gros sanglots (que je trouvais bien trop dramatiques de sa part) et se colla au mur derrière lui. Alors je fis la chose la plus inutile du monde et l'imitai. Je lâchai Alyssa et me lançai dans une crise de larmes, tout aussi dramatique.

{...}

    - C'est n'importe quoi. Des conneries. Tout part en vrille. Non mais j'hallucine ! Et c'est moi qui doit partir en plus ? Le monde à l'envers.

Je grognais dans mes dents depuis au moins dix bonnes minutes. J'étais retournée à l'étage pour me calmer, comme me l'avait conseillé Austin. En revanche, j'avais failli sortir Alyssa de la maison à grands coups de pied au cul lorsqu'elle m'avait demandé d'emmener le gosse avec elle.

Nous en avions vécues des choses, Austin et moi, en presque dix ans. Nous en avions vécues des séparations, des disputes, des voyages, un emménagement, des tentatives d'avoir un enfant, des échecs, beaucoup d'échecs, une demande en mariage malgré tout et le bonheur qui tente de réapparaître. Mais ça, je n'y étais pas préparée. Et je n'étais pas sûre de pouvoir y faire face. Quel âge pouvait bien avoir ce garçon ? Austin m'avait-il trompée ?

Je finis par redescendre, la tête et le coeur en vrac en tentant de calmer ma respiration. Je fis face à Alyssa, magnifique, très apprêtée et sur des talons d'au moins quinze bons centimètres avec une tête de trois mètres de long, en tenue du dimanche, du mascara partout sur les joues. Austin leva la tête à mon arrivée et on resta coincés un instant en se regardant dans le blanc des yeux. Je ne savais plus où me mettre.

    - Je veux des explications, finis-je par annoncer à Alyssa, les bras croisés sur ma poitrine.

J'avais l'air de traumatiser l'enfant puisqu'il alla se cacher derrière les interminables jambes de sa mère pour s'éloigner le plus possible de moi. Je n'y fis que peu attention.

    - J'attends.

Je n'étais vraiment pas d'humeur à plaisanter et elle semblait prendre bien trop de plaisir à me faire mariner de la sorte. Elle ouvrit enfin la bouche.

    - Il s'appelle Aiden, il a trois ans.

Elle regarda mon fiancé de façon insistante sur la fin de sa phrase. Je m'empressai de mettre toutes les machines en route pour calculer. Trois ans. Où en étais-je avec Austin il y a trois ans ? Nous faisions toute une batterie de tests pour savoir lequel des deux pourrait avoir du mal à concevoir un enfant. Nous essayions d'avoir un enfant, et...

- Je ne comprends pas.

Il était temps qu'Austin prenne la parole, j'avais presque oublié le son de sa voix.

- Qu'est-ce que tu ne comprends pas ? demandai-je sur un ton bien plus agressif que je ne l'avais souhaité.
- Je ne comprends pas pourquoi tu m'as caché pendant trois putains d'années que j'étais papa !

Il s'était levé pour hurler sa phrase et, soudainement, ce n'était plus de moi qu'Aiden avait peur. Il se réfugia dans un coin de la pièce, aux bords des larmes. Ce n'était pas mon fils. Nous n'étions même pas sûrs que ce soit celui de mon futur mari mais j'éprouvais de la peine pour cet enfant. Il ne devait pas y comprendre grand chose.

- C'est pour cela qu'il faut qu'on parle, répondit Alyssa sans se démonter une seule petite seconde.
- Sans blagues ! Tu t'es dis quoi, quand tu as su que t'étais enceinte exactement ? Tiens ! Et si j'élevais ce gosse toute seule et que je cachais son existence à son père ! Superbe idée ! T'es géniale, Aly !

J'avais envie de le cogner pour l'avoir appelée « Aly » et j'avais envie de la cogner pour retourner ma vie entière. Mais cet enfant, il n'avait rien demandé. Je les coupai.

- Fermez-la, tous les deux. Alyssa, emmène ton enfant autre part, en haut, peu importe. Il n'a pas à subir les conséquences de vos erreurs.

Cap ou Pas Cap ? 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant