Chapitre 12 - Partie I

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J'ouvre de nouveau les yeux sur Jordan, ma vision se brouille, il vacille devant moi. Je pose une main sur mon front, faisant mine de me protéger de la lumière blafarde qui transperce les nuages. Je ne veux pas qu'il voie la détresse dans mon regard. La pluie roule sur son manteau et il plisse les paupières pour mieux m'apercevoir. J'inspire profondément pour retrouver mon calme. Après quelques secondes de silence, il finit par hocher la tête :

— Le problème c'est que tu te mens à toi-même, Roxane. Arrête de te cacher derrière ton indifférence, ou tes excuses bidon. Accepte-le, ça vaudra mieux pour toi comme pour moi.

Il tourne les talons sans me laisser le temps de répliquer quoi que ce soit. Je le regarde s'éloigner sous la pluie, tout à coup encerclée par les spectres de la solitude. Je m'adosse à la colonne et tente de contenir mes tremblements persistants. Je déglutis et fais un effort surhumain pour ne pas me laisser envahir par la panique. De longues minutes s'écoulent avant que je ne parvienne à reprendre le contrôle de mon esprit.

Depuis ma dernière entrevue avec Shane, j'ai été confrontée à une autre crise des plus virulentes. Je me suis extirpée tant bien que mal de cet enfer, grâce aux conseils pragmatiques de mon ancien psychiatre, mais non sans en avoir souffert pendant plusieurs jours. Contrairement aux espoirs que je nourrissais, mes démons ne semblent pas avoir dit leur dernier mot. Loin de là.

Je secoue la tête et tente de remettre mes idées en ordre. Il n'y a plus aucune âme qui vive autour de moi. Tous les étudiants ont maintenant quitté le campus pour rentrer chez eux et je devrais en faire autant. Depuis peu, le chauffeur de mon père ne vient plus me chercher, à ma demande. Aujourd'hui, je le regrette amèrement. Je récupère mon parapluie, enfouis au fond de mon sac et l'ouvre avec maladresse. Après quelques nouvelles secondes d'hésitation, je m'élance enfin sous les trombes d'eau. Nassau n'était peut-être pas une si mauvaise idée finalement...

Je me dirige vers Broadway d'un pas pressé. À la fin des cours, et particulièrement par temps de pluie, Columbia a des allures de ville fantôme. Ses immenses bâtisses, d'ordinaire si rassurantes, sont éteintes et glaçantes. Elles se dressent autour de moi, comme de lugubres décors cauchemardesques. Je consulte rapidement ma montre. Le bus qui rejoint Upper East Side ne devrait plus tarder à arriver. À l'angle du Carman Hall, j'accélère un peu plus, quand soudain, une main emprisonne mon bras. J'étouffe un cri de surprise, tandis que je suis entraînée en arrière par une poigne à la fois ferme et délicate. Lorsque je parviens enfin à me dégager, je me tourne pour faire face à mon agresseur. Les souvenirs de l'anniversaire de Joanna refont surface en moi comme un tsunami. Je cède à la panique et, guidée par l'adrénaline pulsée dans mes veines, je lève mon poing. Mon cœur va exploser.

— Eh ! Oh ! Du calme, Princesse. Je tiens pas à ce que tu me refasses le portrait, merci !

Je reste bloquée, le bras en l'air, incapable de bouger. Je ne parviens pas à détacher mes yeux de ses prunelles vertes qui oscillent nerveusement entre les miennes et mon poing armé. De grosses gouttes d'eau roulent sur son visage trempé et le long de ses cheveux bouclés. Son manteau noir est imbibé et semble peser une tonne. J'abaisse lentement mon bras. Shane enfonce les mains dans ses poches et hoche la tête. Encore nerveuse, je replace ma crinière sur l'arrière de mon crâne et époussette les quelques gouttes qui m'ont atteinte lors de mon joli pas de danse incontrôlé.

— Qu'est-ce que tu veux, Shane ?

Il hausse les épaules.

— Te voir.

— Bien. C'est bon tu m'as vue. Je peux y aller maintenant ?

J'agrippe un peu plus mon parapluie et me décale sur la gauche pour reprendre ma route vers Broadway, quand je l'entends soupirer dans mon dos :

Le Dernier Vol des Oiseaux de Sang | TERMINÉEWhere stories live. Discover now