MATIN-DE-PIERRE

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Le regard inquiet resta suspendu quelques instants dans l'air de l'aube : une peur enfantine aussi claire, aussi fraiche que cette heure matinale. Puis, très doucement, elle pencha toute sa longue encolure ; elle effleurait l'eau, à peine plus pesante que les pattes de l'insecte, quelques centimètres plus loin.

Elle but dans un silence mystique.

Il ne pensait pas. Il n'était pas vraiment. Il n'y avait, à ce moment précis, dans ce lieu précis, qu'une seule existence, un seul souffle et dedans, il y avait l'animal, l'eau, les arbres et même ce vieux singe, immobile, dans les buissons, qui regardait.

Un chasseur aurait été camouflé ; lui, non ; lui, il était fait avec des feuilles et branchages, il n'était pas caché dans les buissons : il était buisson.

Fou, sans doute ; c'est bien ce que lui disaient certains regards quand il allait échanger le maigre gibier qu'il s'était résigné à tuer.

Oh, il ne se plaignait pas, il comptait aussi nombre d'amis, au village ; beaucoup d'enfants avaient grandi, éclairés par les errances qu'il leur offrait dans l'immense forêt, alors qu'il avait à peine plus que leur âge ; la plupart n'avait pas oublié, et bientôt, c'est leurs enfants qu'il emmènerait.

L'un d'eux aurait-il la patience nécessaire pour attendre assez longtemps, pour voir un tel spectacle, à ses côtés, au bord de l'eau ? Ce sera difficile... cette idée l'amusa.

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Damien(1) courrait aussi vite qu'il le pouvait, il ne comprenait toujours pas.

L'appel aurait dû être proche, l'enfant pleurait à quelques mètres, derrière un arbre probablement ; puis c'était quelques mètres plus loin, puis encore plus loin ; la souffrance que trahissaient les pleurs était évidente ; Damien avait l'habitude de trier les peines d'enfants et cette fois, il était en alerte.

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Les hommes de l'Est attendirent un long moment en silence, jusqu'à ce que l'autre groupe se soit suffisamment éloigné ; la transaction avait été rapide, ce qui valait mieux car Sinn'je maitrisait mal la langue des terres de Perles.

Quand il jugea le moment venu, il fit un signe à celui qui tenait l'enfant : l'homme l'attrapa violement par les cheveux et la traîna jusqu'au tronc d'arbre ; il abaissa sa tête au bord du tronc, posa sa botte droite sur ses chevilles, dégaina sa lourde épée et la leva.

Sinn'je fouillait dans un des sacs : il en sortit un petit sac qu'il jugeait suffisant pour contenir la tête de l'enfant.

Il leva les yeux, étonné de ne pas avoir entendu le coup : l'homme avait le bras toujours levé, mais restait immobile, les yeux exorbités ; une flèche lui traversait la gorge.

Pinz, à l'opposé de la clairière, était à terre et ne bougeait plus ; il restait deux hommes stupéfaits qui dégainèrent leurs armes et coururent à couvert.

La fille s'était dégagée et, les mains toujours liées, tentait de s'enfuir en les évitant.

Sinn'je n'oubliait jamais l'objectif de sa mission ; c'est la raison pour laquelle il avait atteint son grade ; il s'élança pour la rattraper et s'arrêta net lorsqu'en plein milieu de la clairière, la petite disparut purement et simplement, par magie.

Plus aucun bruit de venait d'entre les arbres ; il appela ses hommes mais n'eût aucune réponse ; il était totalement seul ... ou plutôt non, malheureusement, il savait qu'il n'était pas seul ; il recula, guettant les fourrés d'où la flèche était venue, où ses hommes avaient mené leur attaque.

Mais la dernière flèche vint de l'opposé et se ficha entre ses épaules.

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Damien attendit très, très longtemps, comme lui seul savait le faire, avant d'aller examiner les lieux. Il entreprit de fouiller les corps, de les débarrasser autant que possible ; personne ne venait jamais par ici, mais il était préférable d'aider la forêt à les faire disparaître au plus vite.

Les portiersWhere stories live. Discover now