Chapitre 1-2 : Aren

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Il reprit sa marche, mais Rhéa refusa d'obéir. Elle s'assit sur le sol brûlant, sans un mot, et attendit que son capitaine la remarque. Il lui fallut avancer de quelques mètres pour réaliser qu'il était seul. Elle souriait de toutes ses dents lorsqu'il revint vers elle.

— Que fais-tu ?

— Je refuse que tu m'utilises de la sorte. Je ne sais pas d'où te vient l'idée étrange que tu peux t'adresser à moi ainsi, mais je déteste ça et tu le sais très bien. Si tu veux que je t'aide, tu dois me dire ce que l'on cherche, sans quoi je rejoindrai les autres dans la taverne la plus proche et profiterai moi aussi d'avoir enfin les pieds sur terre pour boire la bière dont je rêve depuis des jours.

Aren sourit. Ce qu'il détestait chez elle se trouvait être la raison même qui l'avait poussé à l'accepter sur le bateau. Cette vérité toujours dite à n'importe qui : capitaine ou moussaillon, personne n'y échappait et même s'il ne l'admettrait jamais, c'était exactement ce dont il avait besoin. Quelqu'un qui le voyait comme un homme parmi d'autres, et Rhéa remplissait ce travail sans problèmes.

Il sortit une lettre de sa poche qu'il garda dans ses mains un temps avant de finalement lui tendre. Il lui accordait sa confiance comme à personne d'autre. Même s'il tenait à ses secrets, Rhéa était la seule en mesure de l'aider et il n'en doutait pas.

Elle la déplia sans aucune délicatesse et la lut. Rhéa était une femme d'ordinaire très souriante. Son caractère, parfois, pouvait surprendre mais on s'y habituait. Son sourire s'effaça au fur et à mesure qu'elle lisait les quelques lignes.

— D'où ça vient ?

— Je ne sais pas.

— C'est pour le moins étrange, Aren. Tu embarques un équipage entier dans une expédition... pour une lettre qui ne te dit rien de ce que tu dois réellement trouver.

— C'est pour ça qu'ils ne doivent pas savoir pour l'instant. Je me suis laissé sept jours pour trouver, et je trouverai.

Il paraissait si sûr de lui que c'en était déconcertant. Il n'y avait rien, aucun indice. Comment pouvait-il se jeter dans une quête aussi dénuée de sens ?

— Tu ne sais même pas ce que tu cherches, exactement, ou qui. Comment sauras-tu que tu as trouvé ce que tu cherchais ?

— Je le saurai, répondit-il plus froidement.

Rhéa avait raison, il en était parfaitement conscient. Mais il détestait l'idée qu'on remette sa logique en question. Quelqu'un devait forcément l'attendre, pour lui avoir demandé de venir précisément le jour de ses vingt et un ans. Cette même personne viendrait à lui, il en était sûr.

Sans échanger plus, ils reprirent la route. Malgré ses doutes, Rhéa accepta de suivre son capitaine sans plus rien dire pour le moment. Ils s'enfoncèrent dans la ville grouillante de monde. Entourée d'une immense muraille de pierres polies, elle s'isolait des terres plus reculées comme pour ne pas y être associée. Les gardes à l'entrée ne laissaient passer que ceux munis d'un avis de passage, qu'Aren avait réclamé au moment de leurs départs — et reçus. Tout le monde ne pouvait y avoir accès, un certain nombre de critères devaient être remplis.

En passant entre les deux tours qui terminaient la clôture de la ville, Aren s'arrêta un instant sur la statue qui ornait leurs sommets. Un Roi, le premier de ce monde à ce qu'ils disaient. L'on racontait sa vie partout, des statues à son effigie se trouvaient par dizaines sur chacune des îles et continents de ce monde. Il avait bâti l'humanité telle qu'ils la connaissaient jusqu'à maintenant, lui et tous les Premiers Hommes.

Ils se retrouvèrent rapidement submergés par la densité de population. Il fallait bousculer pour passer, s'infiltrer dans de longues files d'attentes chez les commerçants, et hurler après les passants s'arrêtant en pleine ruelle pour continuer sa route et subir les foudres de tous ceux qu'ils gênaient. Sans politesse aucune, ils prirent rapidement l'habitude qu'avaient tous les autres. Ils poussaient, se plaignaient, soufflaient et leur humeur se ternit quelque peu.

Plus il avançait entre la foule, plus il perdait patience. N'avait-il pas été idiot de suivre une lettre qui ne lui indiquait rien ? Tous ces gens, et cette chaleur intenable pour lui qui était habitué au froid de Vasilès. Il portait le nom de son île car c'était là-bas qu'il avait été trouvé, plus jeune. C'était ainsi qu'on nommait les orphelins, peu importait le nom des parents adoptifs. Voilà ce qu'il cherchait : des réponses. Un nom de famille. Aurait-il été une personne différente, si on ne l'avait pas laissé pour mort devant la porte d'inconnus ? Sûrement. Il vivait aujourd'hui avec un certain ressentiment et c'était ce qui le poussait à exister pour lui et non pour les autres. Une fois, pas deux. Il ne souffrirait pas du départ de qui que ce soit, il ne connaitrait plus l'abandon une fois de plus ; c'était certain.

C'était un travail difficile, faire face aux moqueries sur sa couleur de peau, sur ses cheveux. Alors il combattit le mal par le mal : il s'accepta. Il trouva un faiseur de miracles qui lui offrit une mixture lui permettant d'altérer la couleur de ses yeux. Il retrouva le garçon qui avait tué les oiseaux qu'il recueillait pour les soigner. Il le tua, par excès de colère. Un souvenir qui l'avait longtemps hanté, mais qui le forgeait encore aujourd'hui. Rien de ce qu'il avait fait des années plus tard ne serait arrivé sans ce sombre épisode de sa vie. Dès lors, on ne l'intimida plus. On le laissa seul et il n'en demandait pas plus.

Se retrouvant dans une petite ruelle vide, ils prirent le temps de s'arrêter pour reprendre leur souffle. C'était irrespirable. Pourtant, une grande goulée d'air et revint jusqu'à eux une odeur particulière. Un mélange d'épices et d'herbes qui ne manqua pas de réveiller leur appétit. Ils se regardèrent un instant et partagèrent le même sourire au grognement de leurs ventres respectifs.

Aren préféra ne pas s'attarder pour le moment. Ils mangeraient quand le soleil se coucherait. D'un coup, il se fondit à nouveau dans la masse, suivi de près par Rhéa. L'odeur appétissante disparut pour laisser place à une odeur de terre et de produits pour les vêtements. Tous ces gens portaient les mêmes tuniques dont seules les couleurs et les motifs différaient. Une autre culture, pensa Aren dans son corsaire et ses bottes usées.

Ils tournaient en rond depuis tant de temps maintenant qu'il finit par abandonner. Il entra dans la première auberge qu'il trouva, demanda une chambre et on les fit accompagner jusque dans une pièce qui n'avait rien de désagréable. Deux lits simples, des rideaux aux fenêtres et un endroit à part pour les toilettes, la douche et un lavabo. Une chambre de passage qui se voulait parfaite.

La nuit passa sans hâte et Aren ne ferma pas l'œil. Il relut la lettre à plusieurs reprises, tentant de la déchiffrer mais rien n'y faisait. Et si on le trompait ? Si tout cela n'était qu'un jeu afin de lui faire perdre son temps ? Mais dans quel but ? Ça n'avait aucun sens et pourtant il s'entêtait à vouloir en trouver un.

Quand Rhéa se réveilla aux premiers rayons du matin, il ne lui laissa que cinq minutes de répit. Ils avalèrent un petit-déjeuner rapide dans la salle d'en bas – du lait, du pain, et des baies venues d'Angali. Puis ils quittèrent l'auberge et se retrouvèrent à nouveau submergés par l'activité de la ville qui semblait ne jamais cesser. La marche qu'ils entreprirent dura encore quelques heures. Ils s'arrêtaient parfois, posaient une question, faisaient lire la lettre... Mais de toutes évidences, personne ne pouvait les aider.

Alors qu'il perdait peu à peu patience et l'espoir de trouver quoi que ce soit, Rhéa l'arrêta d'une main sur son épaule. Elle lui montra d'abord la lettre et pointa précisément la ligne qui désignait le soleil. Puis, elle releva le doigt et montra l'horizon. La lumière de l'astre lumineux reflétait au loin l'ouverture d'une grotte et cette même lumière, par un effet de réflexion revenait jusqu'au centre de l'île. Au point même où se tenait Aren.

Les Volontés du Roi - Tome 1 : La Prophétie de l'OracleWhere stories live. Discover now