★ CHAPITRE 7 | Coup de coude

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Il faisait sombre, les issues étaient introuvables pour les non initiés, la pièce était mal aérée. Parfois les spots lumineux se jetaient de façon hasardeuse sur moi et je savais qu'on me regardait. J'aimais ça ?

Emma me désigna une petite fiole d'alcool dans son sac et des remous de la soirée de rentrée attaquèrent mon ventre. Je cherchais Daniel et Anthony, j'allais tout leur avouer. Ma gorge était sèche, j'étais sûrement incapable de sortir le moindre mot.

Dans ma panique, je vis Grace — enfin, je crois. Sa robe était longue, blanche, ses manches en dentelle lui retombaient sur les poignets. Ses lèvres roses glossées riaient alors qu'elle tentait de lancer un ballon de basket dans un panier pour obtenir une boisson gratuite ou une peluche. N'importe quelle jolie blonde aurait pu être elle, dévolue à ma haine.

Thomas ne devait pas être trop loin, prêt à arracher des baisers avant la tombée des masques.

Certains se mirent à danser, juste devant la future scène de la gloire, celle de Grace. Deux mains froides se plaquèrent sur mes épaules, je me retournai, frissonnante.

« Une danse, mademoiselle ?

Une main abîmée par la musique était tendue vers moi et je me redressai pour paraître fière face à tous. Je n'en connaissais qu'un aux mèches aussi désordonnées, même masqué. Ces cheveux séduisaient la moitié féminine du lycée. Un point chaud apparaissait dans mon ventre, j'étais rassurée de voir mon Daniel devant moi, souriant. J'oubliais bien vite que je devais cracher mes confessions. Il était attirant.

— Vraiment ? doutais-je de sa proposition.

Un rire grave et assuré s'enfuit de sa gorge.

— Non ! Même masqué, j'ai trop honte de danser, rit-il.

Ses dents blanches me rendaient heureuse, je baissais les yeux pour saisir mes idées. C'était décidément mon meilleur ami, celui qui me créait de la joie et qui me redonnait la force physique dont j'avais besoin.

— J'ai quelque chose à te dire, Dan, annonçai-je dans une grande inspiration de chanteuse.

Il sourit et enveloppa mes doigts de ses grandes mains. Nous dirigeâmes nos regards à droite, Emma riait aux éclats en s'essayant au lancer de ballon de basket. Elle avait probablement payé le chargé de stand pour gagner au jeu.

Il revint à moi.

— Moi aussi, j'ai quelque chose à te dire, Charlie. Tu veux pas qu'on aille à l'écart ? C'est bruyant ici, répondit-il doucement.

D'autres ados volèrent notre attention alors que nous cherchions la sortie du gymnase. La principale annonçait le passage de Grace dans quelques minutes. Nous marchâmes silencieusement dans les couloirs. Des dizaines de fois je m'imaginais enfin sortir mon aveux, ça coinçait.

— On fait la course ? sortit-il de nulle part.

Il se mit à courir, les rubans de son masque volaient derrière lui. Il chantonnait le morceau que nous avions joué aux Finals l'an dernier et moi j'essayais de remonter les pans de ma robe, de sprinter avec mes talons de dix centimètres.

La mélodie se fatigua, je ne voyais plus Dan. Il était trop loin. Impossible d'allumer les lumières. J'errais jusqu'au bout des labos de sciences, je discernai un chuchotement et me mis à sourire. Il était à ma droite, près de l'entrée des vestiaires.

Il prit la porte du gymnase, encore ? Nous étions derrière la scène, je voyais Georges Bayle (bon batteur, mais prétentieux) assis derrière son instrument. Je me pris les pieds dans les câbles assurant l'acoustique et l'éclairage, je m'écrasai contre le dos de Dan, accroupi derrière l'estrade.

Il poussa un grognement et disparut sous la scène. J'abandonnai mes talons, emmêlés dans les fils, et le suivis. Il voulait saboter le concert — malin — et j'allais l'aider. Anthony n'en reviendrait pas, il serait déçu. C'était la tête saine du groupe. Ça resterait un secret entre Dan et moi, notre amitié était comme ça.

Il utilisa son téléphone pour lampe torche, je rampais à côté de lui. Ma robe s'accrocha entre deux planches, j'étais prisonnière. Impulsive, je tirai et entendis un déchirement. Je connaissais cette angoisse, je ne pourrais pas rester sous cette scène longtemps.

Mon front s'humidifiait, le sang palpitait dans mes tempes. Mon père brandissant ma guitare me réapparaissait encore, la gifle de ma mère aussi. Je clignais des yeux pour ajuster ma vision troublée. Je pleurais probablement déjà.

Grace annonça sa présence dans le micro. En rampant, la chaussure de Dan m'égratigna la cuisse et je sifflai de douleur. Des pas secouèrent le parquet au-dessus de moi dans un ronflement.

Il m'indiqua une prise du doigt puis en saisit les deux bouts, il luttait pour les décrocher. Il râla puis d'un coup sec, sépara les câbles, m'assénant un coup de coude cuisant dans l'oeil. La voix de Grace annonçant son passage se perdit dans le vide. Georges tenta quelques rythmes à la grosse caisse, inaudibles dans ce brouhaha lycéen.

Des paillettes s'évanouissaient dans mon champ de vision et des sueurs gelées m'attaquaient. Je saisis la main de Dan que je reconnaissais à ses pulpes durcies par l'instrument, je la pressai contre mon buste, retenant des hurlements angoissés.

Je finis par lâcher un petit cri et il posa son autre main sur ma bouche, son dos collé à moi pour me maintenir immobile. Sa chaleur commençait à me rassurer mais l'odeur de lessive de sa manche me parvint, ce n'était pas Dan. Je mordis les doigts sur mon visage.

« Il faut vite se barrer. »

Je mourrais sous cette estrade, paralysée. Je haletais, il était de plus en plus loin. J'étais sur le dos, je sentais ma poitrine se soulever, j'avais l'impression de porter une grosse pièce de plomb sur mes poumons.

J'allais me faire prendre, j'allais perdre tout crédit. On me percevrait comme la musicienne jalouse, venimeuse et ridicule. Je parcourus le chemin arrière, c'était comme faire cent pompes. Mes biceps me tiraient douloureusement. Mes os allaient se casser sous mon poids, sous celui de l'estrade.

Un vent frai balaya mes cheveux sur mon front quand j'approchai de la sortie. Je saisis la main devant moi qui me tira vers le haut, je lui écrasai un pied, m'abattant contre son biceps.

« Une vraie chouineuse, Williams ! »

Trop proche de moi, je reconnus ce rictus en coin partiellement caché par un masque d'acier. Il me renvoyait mon reflet difformément, couvrant sa région orbitaire en fer et son profil droit dans des airs diaboliques. Ses yeux bleus cillaient, je me détachai de lui en vitesse.

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RIVAL [SOUS CONTRAT D'ÉDITION]Where stories live. Discover now