Chapitre 2

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— Alicia, tu approches lentement ton visage et tu restes à...

La réalisatrice marque une pause le temps de jauger une distance entre ses doigts :

— On va dire vingt centimètres de celui de Matt. N'hésite pas à te pencher légèrement sur la gauche pour que l'on puisse faire un gros plan sur ton regard. Tu dois garder les yeux au niveau de sa joue.

Devant nous, le storyboard pour la scène de cet après-midi. Je n'ai rien à faire et la regarde donc, elle. Le storyboard se compose de petits dessins qui guident l'acteur, lui montrent ce que le réalisateur s'attend à voir. Durant cette scène, je dois rester allongé sur le flanc et faire semblant de dormir pendant qu'Alicia me dévisage.

Dans ce passage, l'héroïne, Luna hésite à rester avec son petit-ami du lycée et commence à douter de ses sentiments pour lui.

Alicia joue le rôle d'une jeune fille coincée par ses principes et une trop grande morale. Dès le début de ce second volet, elle apprend à s'épanouir et flirte avec le danger, à la recherche de nouvelles expériences.

— Est-ce qu'on sera dans le noir ? me permets-je de demander.

Car rien que d'imaginer son souffle sur mes lèvres, je frissonne. Je n'aime pas rester passif, à la sentir prendre le dessus sur moi. C'est ce qui se passe déjà tous les jours.

Je pose la question en tant qu'acteur, car si l'éclairage est derrière moi, je devrais faire en sorte que mon ombre ne couvre pas le visage d'Alicia.

— Oui. répond la réalisatrice. Tu es en amorce mais si elle se penche comme ça...

Elle pointe du doigt une image sur la première page. Mon dos, ma nuque et ma tête seront comme le cadre de l'image. A première vue, le résultat sera très esthétique. A condition que je ne bouge pas d'un centimètre.

— On va arriver derrière toi et zoomer sur le visage d'Alicia. Il est important que tu ne remontes pas trop le draps sur ton épaule.

— Je vois, confirmé-je en regardant le storyboard.

La scène s'ouvre sur nos deux corps entrelacés dans un lit. Jack et Luna sont endormis dans les bras l'un de l'autre. Puis on change de caméra pour ne cadrer que le haut de mon corps et le visage d'Alicia.

— Trois prises successives, annonce la réalisatrice. Une au niveau de ton épaule, une autre dans le creux de ton cou et peut-être qu'on fera une prise en hauteur pour vous avoir tous les deux dans le champ avant le final.

Elle adore multiplier les prises de vue pour faire de meilleurs montages et choisir les images qu'elle préfère. C'est important, dans le tournage d'une romance, de laisser une grande place aux émotions et de les voir s'installer sur les visage. S'il y a toujours une caméra pour filmer l'ensemble du décor, il y en a également une qui ne se concentre que sur Alicia et moi.

— Alicia, je te ferai signe et tu relèveras la tête de l'oreiller de façon à faire face à la caméra.

— D'accord, acquiesce-t-elle.

— On enchaîne les trois prises qui seront envoyées au monteur.

Ce qui signifie qu'Alicia devra répéter trois fois ses gestes en faisant attention qu'ils se ressemblent tous.

Alors que le plateau est progressivement plongé dans l'obscurité, l'équipe technique s'affaire à préparer les perches pour le son. Aucun de nous n'a à parler mais les gens aiment entendre le bruissement des draps, les soupirs et les gémissements des acteurs. C'est ce qui fait tout le charme du film.

En ce qui concerne la lumière, le travail est plus délicat. Il faut faire croire que Luna s'éveille au petit matin. Seulement, la petite difficulté supplémentaire c'est qu'il faut éclairer son visage, comme si le soleil passait à travers la fenêtre d'une chambre.

Je passe au maquillage alors qu'aujourd'hui, on ne verra qu'Alicia sur les rushs. Je suis donc le premier à la regarder fermer les yeux et se faire poudrer le visage. On tapote ses lèvres avec un baume légèrement rosé et du blush est appliqué sur ses pommettes rondes. Pendant ce temps, une assistante coiffeuse lisse une dernière fois ses longs cheveux blonds cendrés.

Je peux jurer qu'Aucune femme ne s'est jamais éveillée à mes côtés avec un teint aussi frais.

Le maquillage nous prend près de 45minutes avant que nous ne puissions rejoindre le plateau. Il n'y a que deux murs autour de notre lit. Un derrière Alicia et un autre au-dessus de nos têtes.

Je la laisse quitter son peignoir et se glisser en tee-shirt large dans le lit avant de la rejoindre et de m'allonger en face d'elle. Je lui offre un sourire auquel elle ne répond pas, se contentant de placer ses cheveux sur l'oreiller ainsi que sur son épaule.

Au début, c'était très difficile de me retrouver quasiment nu dans le même lit qu'une inconnue, elle même souvent dénudée. Mais le professionnalisme d'Alicia a rapidement su me mettre à l'aise. Ou alors c'est son visage qui reste toujours de marbre... disons les deux !

Elle assume son corps et n'a jamais cherché à détailler le mien. Elle me donne l'impression d'incarner son personnage dès qu'elle pose le pied sur un plateau. Sauf que je ne suis pas Jack, et que je ne l'intéresse pas.

Souvent, je dois la caresser et alors même que mes doigts sont sur elle, il faut tourner plusieurs fois la scène pour voir sa peau se hérisser de chair de poule. Il nous est même arriver de devoir mettre la clim pour lui faire cet effet. C'est extrêmement frustrant, pas pour l'acteur, mais pour l'homme.

On dépose minutieusement le draps sur nous, et on place un second oreiller sous le visage d'Alicia pour qu'il soit bien au-dessus du mien. Le cadreur baragouine avant de former un rond à l'aide de son pouce et son index. L'oeil dans le viseur, il est prêt.

— Attention. Silence sur le plateau.

Toujours le même enchaînement. D'abord le réglage lumière puis on entend les micros qui résonnent lorsqu'ils s'allument et c'est au tour du clap qui vient annoncer la scène :

— Ever After, scène six, prise une, annonce la réalisatrice.

Plusieurs secondes s'écoulent, je ferme les yeux, Alicia respire bruyamment et tout à coup :

— Action !

Sur le plateau, les caméras ont tendance à bourdonner, surtout quand les acteurs n'ont pas de texte.

Presque assise au pied du lit, la réal' fixe une tablette sur ses genoux alors que nous sommes à moins d'un mètre d'elle. Sur son Ipad, elle voit les différentes prises de vue et peut zoomer sur nos visages. Ça lui donne déjà une première idée du montage et elle peut intervenir à tout moment pour nous replacer.

Durant le tournage du premier opus, cette façon de travailler me faisait rire. C'est comme regarder un film en streaming alors qu'on serait assis au milieu d'une salle de cinéma.

La caméra progresse sur un rail et je serre la mâchoire lorsque le son s'apparente à des ongles griffant un tableau noir. Alicia ne se déconcentre pas et je sens l'odeur de son chewing-gum aux fruits de la passion entrer dans ma bouche.

L'actrice soupire et ça me pousse à ouvrir un oeil. Elle se laisse complètement envahir par le psyché de son personnage. Elle me désire autant que l'avenir l'effraie.

A cet instant, je voudrais tellement que réalité et fiction se confondent.

Un Scénario pour la vieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant