Chapitre 1: Le gars du bus

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Je n'ose d'abord pas parler. L'autobus démarre, et je fixe toujours silencieusement le garçon. Je ne l'avais jamais vu avant dans cet autobus; il est probablement nouveau et ne connait donc pas la règle qui s'applique avec moi et ma solitude. Un peu timidement mais avec tout de même le plus d'assurance possible, je lui demande poliment:

- Salut, hum, tu voudrais bien changer de place?

- Pourquoi?

Son ton s'est fait horriblement froid, au point que je n'ose d'abord pas insister davantage. Il a toujours son capuchon sur la tête, donc je ne vois pas son visage, mais sa voix m'indique clairement qu'il doit avoir environ dix-sept ans, comme moi.

Je finis par me ressaisir.

- Tu es à ma place, réponds-je posément, mais avec un léger découragement dans la voix.

- Il n'y a pas ton nom dessus, je te signale, marmonne-t-il avec agacement.

Son ton sarcastique ne fait que me frustrer. C'est donc à ce jeu-là qu'il veut jouer? Très bien.

- Je m'assois seule ici à tous les jours, répliqué-je en tentant d'avoir l'air sûre de moi. Tu vas apprendre vite comment les choses fonctionnent, dans ce bus.

Je regrette immédiatement mes paroles. Est-ce que je viens réellement de dire ça? Mon audace me rend mal à l'aise.

- Comment les choses fonctionnent? ricane-t-il méchamment.

Il tourne la tête vers moi pour me regarder. Il a de beaux yeux... bon, d'accord, de très beaux yeux. Ils sont d'un beau bleu, qui me font à la fois penser au ciel d'été et à la mer.

- Tu es sûre que tu vas bien?

Je reviens à la réalité. Il me dévisage avec un certain dédain. Il doit me trouver folle. Oh! Il doit croire que je suis une dérangée, et que je reste seule sur mon banc parce que je dois être isolée des autres élèves. Il va me croiser dans les couloirs et ne va même pas daigner de me regarder. Quelle belle folle je fais!

- J-je... (Je prends une plus grande respiration pour cesser mon bégaiement.) Oublie ça, tu veux bien?

- D'accord, si tu veux.

Je tourne brusquement la tête vers la fenêtre et je feins d'être captivée par je-ne-sais-quoi à l'extérieur. Je tente en fait de dissimuler mes joues cramoisies. Je suis trop embarrassée, c'était la discussion la plus bizarre que j'ai eu de toute ma vie.

De temps à autre, je tourne subtilement la tête pour le regarder. Il a retiré son capuchon. Il a les cheveux châtains clair et un très beau visage. Mais... qu'est ce que je raconte? Comment est-ce que je peux me permettre de penser une chose pareille? Je soupire et me retourne vers la fenêtre, définitivement cette fois-ci.

Je ne suis pas très belle, moi, de toute façon, et ça on ne peut le nier. J'ai des cheveux bruns ondulés qui cascadent jusqu'à la moitié de mon dos. Mon visage est rond et dépourvu de charme, et mes yeux pers sont bien monotones. J'ai l'air si normale que, si je passais à vos côtés dans la rue, vous ne me remarqueriez probablement pas.

Le voyage dure près de quarante minutes. Nous finissons apercevoir l'école, et l'autobus s'arrête. Tout le monde se lève et se dirige vers la sortie. Je suis bousculée et je me fais dépasser par bien des gens. Pour une raison ou pour une autre, on se permet souvent d'être brusque avec moi seulement à cause de ma petite taille. On me prend souvent pour une gamine, et on m'offre souvent le menu enfant lorsque je vais au resto. Vive être moi.

Je marche d'un pas rapide sur le vieux trottoir craquelé qui mène à mon école. L'air est si sec que mes yeux me piquent. Ma gorge est encore et toujours enrouée par mon vilain rhume, si bien que lorsque j'avale ma salive, j'ai l'impression d'avaler des râpes à fromage. Ou à légume. Peu importe.

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