- Puis-je enfin voir mon amie ?

- Votre majesté, elle n'est pas apte à recevoir de la compagnie... C'est à peine si elle vous remarquera ! Ne prenez point la peine d'attraper cette fièvre, reposez-vous quelques temps et nous vous ferons signe lorsque vous pourrez la visiter.

Mon sang ne fait qu'un tour.

- Cela fait deux jours que je me repose ! Il s'agit de mon amie qui est entre la vie et la mort ! Qu'elle ait conscience de ma présence m'importe peu, je désire simplement la voir ! Alors, vous allez vous écarter et me laisser passer !

- Mais..., votre ma-

- C'est un ordre et je vous conseille fortement de le respecter, j'articule en plongeant profondément mon regard dans le sien.

Il s'éloigne, l'air penaud, et me laisse ouvrir la porte. J'entre et la chaleur étouffante de la pièce me prend soudainement. Elle respire un parfum de plantes mélangé à une atmosphère fort humide. Je me sens déjà étourdie par cette ambiance suffocante.

Je retrouve mon amie tremblante et presqu'inconsciente. Ses paupières s'ouvrent et se referment à grande vitesse et sa peau paraît translucide. Sa robe de chambre forme une seconde peau sur son corps et ses cheveux donnent une lourde masse parasite qui ne lui est d'aucune utilité.

Quelques docteurs m'aperçoivent mais ne pipent mot. Ils s'affairent autour d'elle, les manches retroussées, le front très humide et la mâchoire serrée.

- Est-elle consciente ? je marmonne en sentant leurs lourds regards s'abattre sur moi.

- Nous l'ignorons... Essayez de lui parler, peut-être répondra-t-elle. Mais...

Il s'approche de moi et me murmure à l'oreille :

- Il ne s'agit plus seulement d'une fièvre. Pendant son accouchement, une partie de son... de son vagin s'est déchirée. Nous avons fait des points de suture mais la blessure s'est infectée. Cela est beaucoup plus grave que ce que l'on pensait. Nous allons faire de notre mieux mais...

Je m'approche lentement de mon amie et prends sa main.

- Marianne... C'est moi, Eléonore. Je vous en prie, faites-moi un signe, que je comprenne que vous vous battez encore. Marianne, un... un dernier effort, je pleure en collant mon front contre sa main.

J'ignore combien de temps je reste près d'elle. Sûrement de bonne heures avant qu'enfin la porte ne s'ouvre sur la nourrice dévastée. Elle se précipite vers Vegard, tenant fermement contre elle la petite.

- C'est l'enfant, murmure-t-elle. Elle est... Elle est...

La pauvre femme terrifiée présente le petit corps aux médecins qui s'empressent de le réanimer. Mais rien n'y fait.
Vegard se dirige alors vers moi, pensant certainement que je n'ai pas entendu.

- Votre majesté, la fille de Marianne est morte et-

- Ma fille ! murmure alors Marianne en s'accrochant à mon poignet. Non ! Ma petite Anne... Anne !

Elle se lève brutalement et après de terribles efforts et d'affreux hurlements, elle atteint sa jeune enfant.
Sous mes yeux horrifiés, elle prend la présumée "Anne" dans ses bras et hurle de désespoir.

- Anne ! pleure-t-elle au-dessus d'elle.

Elle semble perdre pied. Un docteur la porte jusqu'à son lit tandis qu'elle tient contre elle sa défunte enfant.

Son regard se porte mystérieusement vers le ciel alors que ses pleurs cessent et ses yeux se referment doucement. Pour la dernière fois.

Secrets RoyauxWhere stories live. Discover now