Chapitre 14

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Deux jours. Quarante-huit heures. Deux mille huit cent quatre-vingt minutes. Cent soixante-douze mille huit cent secondes. Voilà le temps qui s'est écoulé entre le message d'Olivier et le moment où nous avons pris nos sacs et les cordes pour partir à l'assaut de la Ville. C'est peu, bien trop peu. Nous ne sommes pas assez préparés, voilà ce que je crois. Nous n'avons pas assez réfléchi à ce que nous nous apprêtons à faire. Mais maintenant il est trop tard pour reculer. Aujourd'hui, nous allons entrer dans la Ville, pénétrer le Refuge et libérer les banlieusards qui y sont enfermés, voilà le plan. Le reste, ce n'est qu'un détail.

« Tout le monde est prêt ? lance Mac à toute l'assemblée. »

Personne ne répond, et c'est bon signe. Dire que nous sommes tous stressés ce matin serait un euphémisme, nous sommes plutôt envahis par la peur, l'appréhension, et plus encore.
Le hangar n'a jamais été aussi calme qu'à ce moment-là, malgré les quelques personnes qui y sont entassées. Nous sommes tous calmes, un peu trop peut-être. Dans la pièce, nous sommes dix. Dix à ne pas s'être dégonflés. Dix à ne pas avoir hésité. Nous sommes dix personnes, toutes différentes et pourtant unies par la même volonté de changer le cours de l'histoire. Parce que, oui, c'est exactement ce que nous allons faire aujourd'hui, même si c'est encore un peu dur à imaginer à quelques minutes de l'heure H. Alors nous vérifions que nous n'avons rien oublié : de bonnes chaussures, des gants, une corde, et une bonne dose d'audace.

« Si quelqu'un veut s'enfuir, qu'il le fasse maintenant ou qu'il reste avec nous à jamais, déclare Mac en se voulant comique. »

Mais la plaisanterie tombe à plat. Personne n'a le cœur à rire aujourd'hui. En fait, je ne sais même pas dire ce que je pense, ce que je ressens. Je crois que je ne ressens rien. Je suis convaincue que ce que nous nous apprêtons à accomplir est véritablement la bonne chose à faire, alors je ne cherche pas à savoir ce qui pourrait mal se passer. Nous allons réussir notre mission, et c'est tout ce qui compte, rien ne sert de tergiverser. Ce soir, quoiqu'il nous en coûte à chacun, les réfugiés seront sortis de leur prison, c'est le plus important.

C'est alors que je réalise que je suis vraiment prête à mourir aujourd'hui, pour ce qu'on appelle « la bonne cause ». Finalement, revoir Austin n'est pas ce qui me motive à participer à cette mission depuis le début, mais je suis poussée à le faire pour le bien de ces personnes qui subissent des horreurs depuis des semaines, des mois, des années même pour certains en croyant trouver une meilleure vie. Mon frère n'est qu'un prétexte, ma vie n'est qu'un moyen.

C'est assez étrange, ce qu'on peut se dire en pensant que la mort nous attend dans quelques heures. Je ne suis qu'un pion dans cette mission. Je vais être placée sur le plateau de jeu, puis déplacée, en fonction des mouvements de mes ennemis, et peut-être qu'à un moment il devra y avoir une confrontation et que mon pion sera jeté hors du plateau. Ce ne sera pas vraiment un hasard, plutôt une histoire de compétence et de chance, et c'est totalement différent.

« Très bien, allons-y, déclare Mac sur un ton beaucoup plus sérieux. »

Il est temps de partir. Alors que nous sortons du bâtiment, que nous nous engageons dans l'allée et que nous prenons tous ensemble la direction du Mur, certains se retournent. Juste une dernière fois. Moi, je ne le fais pas. Il n'y a pas d'adieux à faire, pas d'image à graver dans mon esprit pour me convaincre que partir est le bon choix, parce qu'il n'y a aucun regret à avoir. Pourtant, je dirige une dernière pensée vers Mac, Austin, et mes parents. Je me dis qu'en pensant très fort, ils vont peut-être m'entendre. Alors j'essaie.

« Si je ne m'en sors pas aujourd'hui, n'oubliez pas que je vous aime. N'oubliez pas que c'était mon choix. N'oubliez pas que je n'aurais jamais regretté d'avoir fait ça. »

Le Refuge - SauvetageOù les histoires vivent. Découvrez maintenant