Le Seul

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Yuzu

«Tu es le meilleur ! »
« Tu vas gagner ! »
« Fais de ton mieux ! »
« On croit en toi ! »

C'était ce que tout le monde me disait, tout le temps. Je pensais aussi être le meilleur, j'espérais gagner, je faisais de mon mieux et je savais qu'il fallait que j'ais confiance en moi, mais pourquoi fallait-il qu'on me le répète à longueur de temps ? Je le savais, mieux que personne... C'était flatteur, certes, mais chaque nouvel encouragement venait peser un peu plus que le précédent, des espoirs que je ne pouvais pas me permettre de décevoir, que je devais combler. Ils arrivaient en flots continus, sous forme de centaines de lettres, de regards, de sourires sereins et confiants, comme si ma victoire tombait sous le sens, était inévitable.

C'était trop...

Pourquoi ne pouvaient-ils pas me laisser douter ? Pourquoi ne voulaient-ils pas accepter l'idée que je puisse perdre de temps en temps ? Ils n'avaient pas besoin de toujours répéter les mêmes choses, de me monter sur un piédestal d'où je ne pouvais pas descendre, peu importe la fatigue. C'était une course dont je ne voyais pas la fin, mais où on me criait de sprinter quand même. Je ne pouvais pas perdre parce que tout le monde croyait en moi ? Ça ne voulait rien dire, à part que si je perdais la chute serait bien plus douloureuse et qu'on ne me laisserait jamais oublier. Si je laissais filtrer la moindre incertitude, si je leur rappelais que tout n'était pas joué d'avance, la seule chose qu'on me serinait c'était : « Ne t'en fais pas, tu es le meilleur »...
Je voyais tout le monde m'observer en attendant exactement ça, que je sois le meilleur, tout le temps, sans interruption ; je devais faire face à ma Fédération, mes sponsors, aux journalistes qui me demandaient sans arrêt de porter cette étiquette de champion incontesté et qui devait rester incontestable, mes parents me disaient que j'étais le meilleur, même Brian quand il voulait me rassurer, et ainsi de suite : tu es le meilleur, tu dois être le meilleur, tout le temps, tout le temps, tout le temps... Et quoi si j'étais le meilleur ? Qu'est-ce que ça voulais dire ? Alors forcément j'allais gagner ? Alors c'était normal ? Facile ? Je n'avais pas le droit à l'erreur ? À faire un tout petit peu moins bien ? Si j'arrêtais d'être le meilleur un seul instant, alors j'étais fini, bon pour la retraite, décevant ? Si je perdais, qu'est-ce qui se passerait ? Qu'est-ce que je deviendrais ?

J'étouffais.

Je voulais juste qu'ils arrêtent de me fixer avec un grand sourire rassurant en promettant que tout allait bien parce que j'étais le meilleur ; j'avais envie de leur crier que ça ne rimait à rien, qu'ils ne comprenaient pas, que c'était juste de la pression supplémentaire, qu'être le meilleur ne servait à rien parce qu'une médaille d'or n'en amenait pas forcément une deuxième. Je voulais juste qu'ils arrêtent, que quelqu'un me dise que ce n'était pas grave, que je pouvais respirer, craquer, faire autre chose que le maximum, que j'avais le droit de faire une pause et respirer, que ça irait, qu'on ne m'en voudrait pas...

-Yusu ?

Je levai les yeux vers Javi en prenant une grande inspiration pour retenir mes larmes. Ce n'était ni le lieu ni le moment, et d'ailleurs ça ne le serait jamais.

-Tu veux que j'appelle Brian ?, demanda-t-il avec inquiétude.

Je secouai immédiatement la tête. Si je voyais encore quelqu'un me rassurer avec des promesses dégoulinantes de bienveillance, je crois que j'allais vomir mes tripes, vraiment.

-Tu veux me dire ce qui ne va pas ?

Il s'était rapproché et agenouillé à mon niveau là où j'étais assis sur un banc des vestiaires.

Je le fixai un instant avec un regard vide et il pencha la tête sur le côté avec un air curieux.

-C'est la prochaine compétition ? Un problème ?

Étreinte (V2)Where stories live. Discover now