Chapitre 10 - Partie I

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Roxane


Quelle magnifique journée. Je déambule près de City Hall, en direction du Pont de Brooklyn, un timide sourire figé au coin des lèvres. Manhattan ne m'a jamais parue aussi belle, aussi vivante qu'aujourd'hui. Des enfants jouent et rient aux éclats dans le parc. Quelques passants se pressent vers le marchand ambulant, qui vient d'installer son stand de hot-dogs aux abords de l'espace vert. Des couples d'amoureux se blottissent l'un contre l'autre sur les bancs publics, et les touristes immortalisent la silhouette du pont, qui se dessine un peu plus loin sur l'horizon.

Le soleil brille haut dans un ciel sans nuages. Ses rayons caressent mes joues et réchauffent mon âme, mon cœur. Dire qu'il y a quelques jours à peine, j'ai été assez folle pour vouloir renoncer à cette sensation. J'ai été assez folle pour croire que la mort serait ma seule échappatoire, ma seule porte d'accès au bonheur. Alors que la vérité était là, sous mes yeux. À quelques mètres de moi. À me tendre la main.

Ce soir-là, ma vie a pris un tournant que je n'attendais pas. Lorsque je suis rentrée chez moi, mon père, fou d'inquiétude de ne pas obtenir de réponse à ses appels, m'a démontré son amour comme jamais il ne l'avait fait auparavant. Si bien, que la culpabilité d'avoir failli l'abandonner sur un principe égoïste a ôté les dernières larmes qui perlaient encore à mes yeux. Peu de temps après, c'est Jordan qui s'est empressé de m'appeler pour s'assurer que tout allait bien, après avoir passé le reste de sa journée à me chercher dans à peu près tout Manhattan. Maggie, quant à elle, a pris le soin de me faire couler un grand bain chaud, dans lequel elle a versé quelques gouttes d'essence de pivoine et de rose, chères à mon cœur. Celles que ma mère préférait. Comme des bulles de savon qui éclatent, mes pensées morbides se sont lentement dissipées, ne laissant plus de place qu'à lui. Lui et son regard trahissant sa peur de me voir sauter. Lui et son extraordinaire aptitude à être toujours là au bon moment, au bon endroit. Lui et sa promesse qui résonne encore en moi comme un vibrant espoir.

Le petit tintement de la sonnette d'un vélo me sort de mes pensées. Je lève les yeux pour m'apercevoir que je me suis déjà engagée sur le pont. Je me décale sur la gauche, mes jambes me guident mécaniquement, comme entraînées par une inexorable volonté intérieure. Soudain, la mélodie de mon téléphone qui s'échappe de mon sac à main me fait ralentir l'allure. Je m'arrête, non sans démontrer une certaine frustration, puis extirpe le petit objet avant de décrocher, sans prêter attention à l'identité de mon interlocuteur.

— Hey.

Je fronce les sourcils, tentant de capter des bribes de la conversation, masquées par les hurlements du vent sur le pont.

— Rox, c'est Jordan ! Comment tu vas aujourd'hui ?

Je plaque ma main sur mon front. Est-ce qu'une force spirituelle le prévient dès que je m'apprête à retrouver Shane ?

— Je vais bien, Jordan, merci encore pour tout. Tu es un ange, j'espère que tu le sais.

— J'ai eu tellement peur. J'ai vraiment cru... J'ai vraiment cru que je n'allais plus jamais te revoir.

Je reste muette. Jordan toussote, puis s'éclaircit la voix à l'autre bout du fil.

— Écoute Rox, je sais que c'est nul de faire ça au téléphone, mais tant pis. De toute façon, je ne pourrais jamais te le dire en face.

— Qu'est-ce qu'il y a Jordan ? Tu m'inquiètes.

— Je. En fait, tu. Tu.

Il pousse un profond soupir en jurant.

Le Dernier Vol des Oiseaux de Sang | TERMINÉEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant