Chapitre 16

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Lorsque nous atteignons le campement, la petite s'est endormie dans les bras de Gaëtan. Celui-ci se tait, son fardeau serré contre lui, une expression lointaine peinte sur les traits. Il couche avec précaution l'enfant sur le sol, puis se met en quête d'une couverture.

« Tiens, murmuré-je en lui tendant la mienne.

— Et toi ?

Je hausse les épaules.

— Je n'ai pas froid.

Le garnum me dévisage un instant avant d'esquisser un sourire.

— Dommage pour toi, je me serais fait une joie de te réchauffer, déclare-t-il à voix basse en saisissant ma couverture.

Et sur un clin d'œil, il se détourne pour aller couvrir la petite forme brune recroquevillée sur le sol. Je le regarde s'éloigner. Il a traversé un village ravagé par des pillards qu'il a dû combattre, il s'occupe à présent de la seule rescapée du massacre, et son ton léger, son sourire, rien n'a bougé. Alors pourquoi, moi, ai-je la poitrine comprimée, comprimée par quelque chose qui m'écrase, qui m'étouffe, comme si le vallon se refermait sur moi, comme si le regard qui me brûle la nuque m'empêchait de respirer ?!

— Je prends le premier tour de garde, lâché-je soudain. »

Et je me retourne pour gravir les pentes du renfoncement, m'extraire de ce piège étouffant. 

Le vent me fouette le visage lorsque j'émerge face à la nuit, il plaque mes mèches dans mes yeux, il repousse ma cape en arrière, mais il n'emporte pas avec lui l'impression de crasse et de dégoût qui me colle à la peau. Derrière moi, au fond du vallon, le feu mourant creuse l'obscurité d'une tache plus claire. Je sens sa présence, je sens son agonie, mais je ne peux pas le ranimer. Mon pouvoir est là, caché dans un coin de mon esprit derrière une porte de bois. Il me suffirait de tendre la main, de tourner la poignée... mais mon bras est plus lourd qu'un Dragon.

Par Tharsio Silvia, que m'est-il arrivé ?! Cette puissance... cette ivresse... J'avais l'impression que plus rien n'avait d'importance, que plus rien ne comptait du moment que la magie parcourait mes veines et jaillissait de mes mains, déchaînée. Libre. J'étais...

Le regard horrifié de la fillette s'impose dans mon esprit, ses grands yeux gris écarquillés par la terreur.

Je redresse les épaules. J'ai du mal à avaler ma salive.

Et cette histoire de récompense, de "place de choix dans le monde du Nouvel Ordre" ? Quel monde ? Qu'est-ce que le Nouvel Ordre ?! Et pourquoi souhaite-t-il ma mort, par toutes les foutues immortelles du Cerman Silvius ?!

Pourquoi ?

Un gémissement s'élève derrière moi.

Je sursaute, mon cœur plonge dans ma poitrine. En moins de trois secondes, j'ai dévalé la pente du vallon, à jeter les yeux partout, à chercher le moindre mouvement. Que se passe-t-il ?! Les pillards sont...

Je m'immobilise. Prostrée sur le sol, les poings serrés sur sa couverture, la fillette pleure dans son sommeil. Son petit corps tremble. Elle pleure, et moi je reste là, bras ballants, sans savoir quoi faire. Son regard terrifié revient sans cesse devant mes yeux.

« Eh.

Pivot. Gaëtan baisse les yeux sur la dague que je pointe vers sa gorge.

— Mince alors, commente-t-il. Comment t'as fait pour deviner que j'allais t'attaquer ?

— Cervelle de sican, articulé-je, les dents serrées, tandis que des vagues de douleur remontent le long de mon bras.

Le garnum m'adresse un sourire, puis reporte son attention sur la petite. Une expression de pitié passe sur son visage.

Neighian, tome 1 [SOUS CONTRAT D'ÉDITION]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant