Chapitre 14

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La brume se fend en deux au passage des chevaux, le vent fait claquer ma cape, le sac des offrandes bat contre ma cuisse au rythme du galop. Je serre les dents à m'en faire éclater la mâchoire. Chaque foulée, chaque secousse se répercute dans mon bras, chaque ornière se taille dans ma main et chaque instant rend la douleur plus difficile à supporter. C'est une lame. Une lame crantée plantée dans mon corps qui profite du moindre soupir pour se retourner et transformer la chair en une bouillie rouge. Je presse mes talons contre les flancs de ma monture, le vent se fait plus pointu à mes oreilles, la douleur empire.

Eh bien qu'elle reste ! Qu'elle s'acharne, par Tharsio Silvia, qu'elle déchire autant qu'elle le veut ! Elle pourra bien me faire hurler, elle ne fera pas de moi une infirme !

Je pousse encore le galop de mon cheval. L'herbe défile sous ses sabots. Mais cette chose qui tressaute sur ma cuisse, je ne la sème pas.

Soudain, une forme brune surgit dans mon champ de vision. J'ai juste le temps d'apercevoir son clin d'œil avant que Gaëtan, couché sur l'encolure de son cheval, accroché à sa crinière, ne me dépasse. Il crie quelque chose, mais le vent engloutit ses paroles. Toutes, sauf le « chérie ». Et la douleur est toujours là, à m'écraser, à me presser à deux mains pour me broyer tous les os.

Non !

J'enfonce mes talons dans les flancs de mon cheval, il pousse un hennissement, allonge, allonge encore le galop. À présent le vent ne siffle plus, il hurle à mes oreilles, il me gifle à toute volée et il se fourre dans mes yeux si bien que je n'entends plus rien, que je ne vois plus qu'un paysage confus, la forme floue de Gaëtan lorsque je le dépasse. Je ne ressens plus que la cascade du vent sur ma peau et les milliers d'aiguilles qui transpercent ma chair. Mais l'horizon court vers moi, sans attaches et moi, je cours vers lui. Libre. J'aurais envie de rire, si je pouvais desserrer les mâchoires.

Lorsque je ralentis enfin, la robe de ma monture est toute poissée d'écume. La brume couvre toujours le sol. Le souffle bruyant de mon cheval résonne dans l'air gris du matin. Envolées, les gifles du vent. Ne restent que des vagues de souffrance qui s'abattent contre ma main. Je la ramène lentement contre ma poitrine.

Par Tharsio Silvia...

« Eh ben, chérie, si je te connaissais pas, je penserais que tu cherches à fuir la compagnie !

Je sursaute et pivote sur ma selle. Ondulant presque à chacun des pas de sa monture, Gaëtan se rapproche, un sourire aux lèvres.

— Heureusement que ton caractère sociable ne m'a pas échappé, ajoute-t-il en baissant les yeux sur la dague, entre mes doigts.

Crétin.

— Où est l'elfe ? lâché-je en rengainant mon arme.

Gaëtan se retourne, fixe un moment la route, puis revient vers moi.

— Derrière, je dirais.

Bon. Il nous rattrapera.

— Tu l'attends pas ? lance Gaëtan tandis que je remets mon cheval au pas.

— Brillante observation.

Quelques claquements de sabots réguliers, et le garnum me rattrape pour se placer sur ma gauche.

— L'une de mes nombreuses qualités. Vous avez l'air de très bien vous entendre, tous les deux.

La voix de Beren. Des eaux sombres et lisses qui se jaillissent dans mon esprit, avides. Je redresse les épaules.

— Ce n'est pas ce qu'on nous demande.

Le garnum hausse les siennes, un sourire imprécis posé sur le visage.

Neighian, tome 1 [SOUS CONTRAT D'ÉDITION]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant