À moi

Réfectoire

-          Approchez-vous de l'entrée de votre cellule, il est l'heure d'aller manger, crie un gardien chargé de nous surveiller.

Je suis les mouvements de mes colocataires et me lève de mon lit avant de m'approcher des barreaux de la cellule. Un garde arrive devant, l'ouvre puis nous ordonne de nous diriger vers le groupe de femmes qui commence déjà à se former. Une fois que nous sommes toutes sorties, le groupe se dirige dans les couloirs jusqu'au réfectoire.

Nous faisons la queue, je me place derrière Eli qui est, elle-même, derrière Vanessa. Je prends mon plateau puis, à chaque étalage, je prends une des choses indiquées avant que l'on me serve une sorte de pâtées de flageolets verdâtre. Pas très appétissant tout ça.
Toutes les trois, nous nous dirigeons ensuite vers une table libre. Nous ne sommes qu'à deux rangées de la vitre des hommes, je fais donc en sorte de m'assoir en face pour que je puisse les voir.

Vanessa et Eli commencent à parler de choses banales et je ne suis pas vraiment la conversation. Je ne les écoute qu'à moitié car mon regard se perd à travers les rangées d'hommes assis pour trouver ma cible. Les hommes détenus ici ne sont pas vraiment ceux que l'on aimerait croiser une nuit dans la rue... Deux petites minutes plus tard, je le trouve enfin : assis à la table du fond, entouré des quatre hommes que j'ai aperçu plus tôt dans la journée. Avec ses cheveux bruns légèrement ébouriffés au-dessus de sa tête, ses yeux clairs et ses tatouages, il a un charme à en faire tomber plus d'une, et je dois me reconcentrer sur l'objectif de ma mission pour ne pas y penser.

Ils ne parlent pas vraiment. Je vois son regarde scruter les alentours et observer chaque personne qui se trouve autour de lui. Jusqu'à ce qu'il croise mon regard...

Ses yeux plongent dans les miens qui le fixaient déjà et il s'en aperçoit. Son visage est impassible. Il continu de me regarder, dénué de toute émotion visible. À quoi pense-t-il ? Son regard se fait maintenant plus menaçant et je sens mon estomac se comprimer. Ai-je... peur ? Non, impossible, je ne dois pas avoir peur de ma cible sinon je n'y arriverais jamais ! J'ai envie de détourner le regard mais quelque chose m'en empêche, il le faut pourtant sinon je vais paraitre suspecte !

-          Eh Tess, tu m'écoutes ? me demande Vanessa en me donnant un petit coup de coude amical dans le bras.

Mes yeux se détournent rapidement sur elle et je la remercie intérieurement.

-          Non, désolée, j'étais un peu perdue dans mes pensées.

-          Oui, j'ai vu ça, rit-elle.

Vanessa reprend son histoire sur le type qui la draguait quand elle était au lycée. Je l'écoute tout en mangeant mais une partie de mon esprit est ailleurs. Je sens toujours son regard sur moi et je me maudis d'être aussi bête. Si je me fais repérer, je suis foutue. Je ne sais pas quelle attitude adopter avec lui. Est-ce que je dois faire semblant de le craindre ou est-ce qu'il faut que je joue la fille forte et courageuse qui n'a peur de rien ?

Plusieurs minutes plus tard, les hommes sont appelés par les gardiens et sortent tous du réfectoire. Ensuite, c'est à notre tour.

L'heure de dormir arrive rapidement mais je ne fais que cogiter sur l'attitude à adopter avec Devon le jour où je le verrais. Mieux vaut me préparer ce soir car, maintenant qu'il m'a repérée, il serait possible que je croise son chemin plus tôt que prévu.

Après plus d'une heure de réflexion, je pense avoir ma réponse. Je vais opter pour la deuxième solution, celle de jouer la femme forte et courageuse qui n'a peur de rien. Non pas pour le provoquer mais pour qu'il ait assez confiance en moi et en mes capacités pour me faire entrer dans son petit business. Si je m'amuse à jouer le rôle d'une fille qui a peur de lui, il pourrait se dire que les autres me mangeraient toute crue en un rien de temps et à la moindre confrontation, ce ne serait pas bon pour ma mission.

Le mystère résolu, je finis par m'endormir.

Le lendemain matin, vers 10 heures, les gardiens viennent nous chercher pour nous emmener dans une salle munie d'une vingtaines d'imposantes machines à laver. Ils placent des groupes de cinq à six femmes par machines et nous nous attelons à la tâche. Eli prend le temps de m'expliquer ce que je dois faire et je ne perds pas une seconde car les gardiens commencent un peu trop à nous regarder.

Une heure plus tard, nous y sommes toujours et nous ne sommes qu'à la moitié du travail. Les gardiens ont baissé leur garde et les femmes commencent à parler entre elles. Dans un groupe au fond de la salle, le ton monte entre deux femmes d'un certain âge. Les gardiens n'interviennent pas mais les gardent à l'œil.

-          Eh toi, t'es nouvelle, non ?

Je me retourne pour faire face à une femme un peu plus grande que moi, brune aux grands yeux sombres et un peu enrobée. Elle fait partie du groupe de femmes juste à côté du nôtre.

Vanessa me chuchote discrètement de ne pas lui répondre et je suis son conseil malgré moi.

-          Tu m'ignores en plus, pétasse ?

-          Laisse-la tranquille Mirna, on connait ton petit jeu intervient une femme d'une cinquantaine d'années qui se trouve derrière moi.

-          Oh ferme-là toi ! C'est à toi que je cause, brunette, ne me fais pas répéter.

-          Bon, c'est quoi ton problème ? m'énervais-je.

Elle fut surprise par le ton agressif de ma voix.

-          Tu veux tester les nouvelles, c'est ça ? Pas de bol, je suis déjà au courant de ton petit jeu mais figure-toi que tu es tombée sur la mauvaise personne. Alors vas-y si tu veux t'en prendre à moi, vas-y, mais ne m'en veux pas pour les dégâts infligés à ton petit visage joufflu.

Elle fronce les sourcils et avance d'un pas vers moi. Je lâche le drap que j'avais dans les mains et m'avance aussi pour lui montrer qu'elle ne me fait pas peur.

-          Mirna, arrête ton cirque maintenant, tu vois bien qu'elle va te faire bouffer le sol, crie un des gardiens.

Je lève les yeux vers lui pour apercevoir Derek. Il me fait un clin d'œil discret et je lui fais un sourire qui le fait doucement rire. Mirna retourne gentiment à ses occupations et je peux faire de même.

Après que toutes les femmes se soient calmées et soient concentrées sur leur travail, un gardien que je ne connais pas vient vers moi.

-          Viens avec moi.

Il me prend par le bras et me tire à l'extérieur de la pièce. Lorsque je passe devant Derek avant de sortir, ce dernier hoche la tête dans ma direction, ce qui me rassure un peu.

-          Je peux savoir ce qu'il se passe ?

-          Quelqu'un veut te voir.

Mon cœur s'arrête pendant une fraction de seconde. Et si c'était Devon ? J'ai peur mais, en même temps, je suis excitée. Si c'est lui, ma mission avance plus que bien et en peu de temps, c'est un très bon point. Mais s'il me voulait du mal ? S'il ne me laissait pas le temps de l'ouvrir et qu'il m'envoyait ses quatre hommes de main ? Il faut que j'arrête d'avoir peur de lui, je n'ai jamais eu peur de mes victimes, même les plus dangereuses.

Ressaisis-toi Maya !