Chapitre 8 - Partie II

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— Mais il me faut du temps, Robin. Elle n'est pas si bête qu'elle en a l'air. Elle est méfiante, elle a été élevée comme ça. Elle vit sous pression constante, parce que le moindre faux pas peut-être dramatique pour elle ou pour son père.

— Shane... Tu sais très bien ce que tu as à faire pour qu'elle te fasse confiance. Je n'ai pas besoin de te faire un dessin.

Je reporte mon attention sur un groupe de jeunes gens qui remontent l'avenue en riant, visiblement déjà bien éméchés. Je prends une profonde inspiration sans les quitter des yeux ; quelle belle expérience cela doit être, de vivre comme eux en toute insouciance, sans cette pression perpétuelle de voir sa vie basculer à tout moment... Je les suis du regard pendant quelques secondes encore, jalousant secrètement leurs éclats de rire qui se mêlent aux bruits incessants de la ville avant de reprendre, à mi-voix :

— Au fond, elle est assez intéressante comme fille. Bien plus maligne qu'elle en a l'air. Elle connaît pas mal de choses et elle...

Je laisse ma voix s'éteindre tandis que Robin tourne très lentement la tête vers moi.

— Qu'est-ce que tu me fais toi... ?

Ses yeux me fusillent. Je tire nerveusement sur la manche de mon manteau.

— Rien. Je dis juste qu'elle n'est pas la dernière des imbéciles et que forcément, ça complique un peu les choses.

Robin ricane :

— Tu parles d'elle comme si d'un seul coup tu la connaissais depuis toujours. Tu l'as vu quoi... Deux fois ?

— Trois si on compte le soir où je l'ai emmenée chez Jack.

Robin se braque soudainement vers moi et son regard empli d'amertume plonge dans le mien. Il articule fiévreusement :

— Tu as oublié ce qu'ils t'ont fait ? Ces gens-là ? Je dois peut-être te rappeler ce qu'ils sont pour te rafraîchir la mémoire ? C'est une garce des beaux quartiers, Shane. Elle fait partie de ceux qui t'ont insulté, qui t'ont humilié quand tu étais à la rue. Elle fait partie de ces ignobles connards corrompus jusqu'à la moelle qui te crachent à la gueule sans même essayer de te faire croire qu'il pleut. Elle représente tout ce que tu as toujours détesté dans ta vie et aujourd'hui, tu vas me faire croire que tu as de l'intérêt pour elle ? Qu'elle est spéciale ?

Robin explose d'un rire maléfique et je frappe l'arrière de mon crâne contre l'appui-tête. Qu'est-ce qui m'a pris de dire un truc pareil ? Après quelques secondes d'hilarité, mon voisin poursuit plus calmement :

— Ah Shane, Shane, Shane. Mon ami. Un rat d'égout ne convoite pas une hirondelle des gratte-ciels, tu le sais ça. Rempli ta mission, trouve un moyen de rentrer chez elle, tire un coup avec si ça t'amuse et débarrasse-toi d'elle. Mes clients n'attendront pas des mois, alors fais ça comme tu veux, mais ne m'oblige pas à m'occuper de ça personnellement.

Je reste droit contre le dossier du fauteuil, au bord de l'exaspération.

— J'ai jamais dit qu'elle m'intéressait. Je dis simplement qu'elle est intelligente et que la berner prendra du temps. J'en ai besoin si tu veux que le travail soit fait comme d'habitude. Propre, net et sans bavure. C'est bien ce que tu veux, non ?

— Et toi ?

— On s'en fout de ce que moi je veux. C'est pas ça la règle ?

Robin ne me quitte pas des yeux alors qu'un sourire carnassier illumine maintenant son visage. Il me tapote ensuite l'épaule, en signe d'approbation :

— Tu es mon meilleur élève Shane, je ne pourrais jamais t'enlever ça.

Son regard dévie en même temps qu'il se redresse sur son siège. Après quelques minutes de silence, il s'appuie soudainement contre le volant de sa voiture en me désignant l'entrée de l'immeuble qu'il guette d'un geste de la tête.

— C'est lui ?

Je braque mes yeux dans la direction qu'il m'indique ; un jeune homme blond vêtu d'un polo blanc et d'un jean bleu qui vient de s'avancer sur le trottoir. Il tient dans sa main ce qui ressemble à un manteau de créateur et s'adresse maintenant à l'un des voituriers de l'immeuble.

— Oui, c'est bien lui. Zara a confirmé que sa mère possède sa propre marque de fringue de luxe. Elle est souvent en voyage, ça ne devrait pas être trop compliqué d'aller jeter un œil.

— Quel butin ?

— Selon nos indics, pas grand-chose d'intéressant pour nous. Ni tableau, ni dessin, ni sculpture. Par contre, il semblerait qu'elle ait récupéré des bijoux de joaillers qui auraient servi pour certains de ses défilés.

— Bien gardés, je suppose.

— Pas plus qu'un Renoir ou qu'un Degas.

Robin ricane et s'enfonce de nouveau dans son fauteuil.

— Parfait. C'est parfait.

Je reste muet quelques secondes, puis croise les bras sur le tableau de bord. Je ne parviens pas à détacher mon regard de la voiture noire dans laquelle s'engouffre le jeune homme. Au même moment, une question m'effleure brusquement l'esprit :

— Et lui ? Qu'est-ce qu'on va faire de lui ?

Robin jette son mégot par la fenêtre puis remonte aussitôt la vitre avant de démarrer la voiture. Mes yeux croisent les siens et un rictus malsain se dessine alors sur ses lèvres.

— Ne t'en fais pas, Roméo. Je serais sage. Et si je ne le suis pas, je balancerai ce cher Jordan au fond de East River dans une jolie malle de chez Vuitton. Promis.

Le Dernier Vol des Oiseaux de Sang | TERMINÉEWhere stories live. Discover now