Chapitre 1: Un monde détruit

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— Ce type est fou. Mais il est compétent, ça se compense !

Un troisième jeune soldat se joignit à la conversation. Lucio ne connaissait pas son nom, mais se rappelait avoir déjà discuté avec lui lors d'une soirée pour fêter l'une de leurs victoires. Si ses souvenirs étaient bons, l'adolescent sortait tout juste du lycée et comptait reprendre la boulangerie de son père. Et c'était à peu près tout ce qu'il avait retenu. De toute façon, à quoi bon en savoir davantage ? Comme tous les autres, il était condamné à mourir dans l'indifférence la plus totale.

— Tu fais partie de ceux qui ne croient pas à la théorie de l'envahisseur extra-terrestre ? lui demanda Anna, amusée.

— Je pense qu'il délire, ouais, répondit l'apprenti boulanger. Pour moi, c'est juste un coup de la Russie ou de la Corée du Nord, mais jamais des mecs d'une autre dimension. Bientôt on devra se préparer à une attaque de dragons ? La S-F, ça va deux minutes, mais faut arrêter à un moment !

— Pour moi, survivre à une explosion nucléaire relevait déjà de la science-fiction. Et j'ai pas besoin d'avoir validé mon master pour savoir que c'est impossible, rétorqua Lucio sans prendre de pincette. La seule chose sur laquelle je suis d'accord avec Amon, c'est que ces gens défient les lois de la physique.

Le jeune soldat grimaça.

— C'est ce que les US essaient de nous faire croire. Est-ce qu'on l'a vue cette bombe ? On a juste eu des images, mais c'est peut-être juste un prétexte pour abandonner !

— Ça sert à rien de débattre là-dessus ici, soupira Anna, qui sentait la pression monter. On perd notre temps et notre énergie. Vous feriez mieux de retourner à la base.

Lucio acquiesça. Il ramassa son fusil d'assaut et prit la direction du bunker de la résistance, qui n'était autre que le gymnase de la ville, l'un des rares bâtiments encore debout après les bombardements incessants.

Le visage souriant de son amie s'effaça pour laisser place à la tristesse et la préoccupation à mesure que son camarade s'éloignait d'elle. Ce dernier ne jeta pas un seul regard aux ruines des commerces où ils avaient l'habitude de flâner à l'époque du lycée. Il marchait tout droit, d'une démarche presque mécanique, comme un cheval de promenade dont les œillères l'empêcheraient de voir les voitures autour de lui. Anna avait bien du mal à reconnaître celui qu'elle avait un jour aimé. Tout ce qu'il restait de lui était sa langue acérée, d'autant plus affutée par les épreuves qu'il avait surmontées.

— Il était plus marrant après trois bières, lança l'adolescent, qui ramena Anna à la réalité.

Anna ne répondit rien. Lucio n'avait jamais été du genre sociable. Lorsqu'elle n'était pas dans les parages, il ne parlait à personne et évitait tout contact humain. Et, si on le forçait à interagir, il se contentait du strict minimum, si bien qu'il n'avait aucun autre ami. Et pourtant, ce n'avait pas été faute d'essayer. La jeune femme l'avait entraîné avec elle dans le club d'astronomie dans l'espoir qu'il se sociabilise. En vain. Il était incapable d'accorder sa confiance aux autres et de s'ouvrir, de peur d'être manipulé ou déçu.

Il en allait de même sur le champ de bataille. Il tuait comme un robot dénué d'émotion tous ceux qui se mettaient en travers de sa route. C'était comme s'il avait perdu le peu d'humanité qu'il lui restait. Malgré tout, Anna était consciente qu'il avait adopté la meilleure attitude pour survivre dans ce monde. Elle ne pouvait pas se permettre d'hésiter ou de faire preuve de sentimentalisme, bien que chaque cœur qu'elle transperçait de ses balles arrachât un nouveau fragment de son âme en lambeaux. Longtemps après la fin de ce conflit absurde, les cris d'agonie des camarades qu'elle n'avait pas réussi à sauver et les visages de ses ennemis continueraient à la hanter jusqu'à ce que la mort la délivre.

Ladd : Le requiem d'améthyste .T1Where stories live. Discover now