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« Enfin réveillés ? »

La phrase du matin est prononcée avec un sourire et un baiser, sur les lèvres d'Alceste, puis de Camille. Elle est en avance sur eux : alors qu'ils se débattent avec la chaleur et la fatigue du réveil, elle se déplace toute guillerette dans la cuisine, caressant les épaules, allant chercher de quoi boire et manger alors qu'ils fixent leurs tasses de café brûlantes avec le même air. L'air de ceux qui ne veulent pas affronter ni le Soleil, ni la journée, et qu'ils veulent juste se laisser dans un coin frais de la pièce, à ne rien faire. Il est rare qu'ils aient tous les deux cet air : en règle générale, seul Camille l'abhorre comme un air naturel le matin. Alceste, plus expressif, a moins souvent cette mine, qui ne lui sied pas du tout.

« Tu es matinale, aujourd'hui, note Alceste entre deux gorgées du précieux liquide noir.

— Il est midi et je vous rappelle que c'est la marche des Fiertés, dit Zoé avec un petit sourire.

— Et France-Argentine, à seize heures, ajoute Alceste.

— On est obligé de faire les deux ? se plaint Camille. »

A voir son visage tristounet, ses traits qui s'affaissent dans le reflet de son café, Zoé a un élan de tendresse envers le jeune homme : elle lui embrasse le front avec une douceur qu'elle ne dissimule pas. Qu'elle ne dissimule pas encore.

« On est obligé de rien, honey, mais c'est le seul jour où on peut crier pour nos droits et supporter notre pays en buvant des bières. Et si tu ne le sens pas, on rentrera ici. D'accord ? »

Zoé a une certaine prévoyance avec Camille qu'elle n'a pas avec Alceste : Alceste peut survivre à une manifestation, à une foule de personnes maquillés, drapés de mille couleurs, criant des slogans et chantant des titres cultes. Camille, un peu moins. Quant à elle, elle se chargera de surveille son petit-ami pour ne pas qu'il se sente trop mal, pour qu'il se sente même bien.

Le seul jour où ils peuvent assumer leur couple étrange, à trois, sans craindre des représailles.

Le seul jour où ils peuvent voir peut-être le dernier match que la France jouera lors de la Coupe du Monde avant quatre ans.

Zoé n'a aucune intention de laisser passer cela.

« Du coup, on partira vers treize heures, pour pas se retrouver dans la foule. Il vous reste une heure pour vous réveiller et vous préparer, annonce-t-elle comme une cheffe guidant les troupes. »

Ils la prennent au sérieux quelques secondes : quand elle utilise son ton autoritaire, ils savent qu'il vaut mieux ne pas trop la contredire. Mais le naturel cynique d'Alceste le rattrape et, son regard suivant la silhouette de la jeune femme, il dit :

« Et toi, tu comptes y aller en soutien-gorge et culotte ? »

Zoé regarde sa tenue : elle semble découvrir qu'il ne s'agit pas d'une tenue socialement même accepté, même lors d'une marche des Fiertés où les excentricités sont tolérées. Elle hausse les épaules et ne lui répond pas. Elle a encore une heure pour trouver une robe à enfiler, pourvu qu'elle soit courte.

Champions de leur monde.Where stories live. Discover now