JANVIER - CHAPITRE VINGT DEUX

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PARTIE 3 : LE LAC GELÉ

La tante de Créa habitait à distance équivalente de la grande ville et du patelin où la jeune fille avait grandi. Elle lui rendait souvent visite. Surtout en été, alors que le soleil tapait sur les plaines et que l'air chaud soulevait sa chevelure lorsqu'elle galopait sur Rosâtre, le cheval corse de son hôte. Elle avait aussi pris l'habitude de tremper ses pieds dans l'étang marécageux qui bordait la grande bâtisse. Mais, aujourd'hui l'étendue boueuse était recouverte de givre. Le verglas s'étendait sur chaque parcelle du petit chemin en terre, que la jeune fille avait traversée quelques minutes plus tôt. Elle contemplait ce paysage brumeux, comme attendant que la neige vienne enfin blanchir les branches d'arbres. 

Le sol craqua sous ses pieds, une brise glaciale s'engouffra sous les manches de son manteau, une odeur de vase effleura ses narines. Créa avança. Les lacets de ses bottines étaient défaits, ils cognaient contre le cuir en un léger claquement. Doucement, ses pas se rapprochèrent du bord. Ses doigts s'écrasèrent sur la fine couche gelée qui surplombait l'eau puis, sa main disparut sous la surface stagnante.

Ses ongles commençaient à devenir violacés et la sensation de froid à s'évaporer, lorsqu'une main chaude se posa sur son épaule.

« Créa ? demanda la voix enrouée de sa tante. Tu devrais rentrer. »

Sans une parole, l'adolescente se releva maladroitement. Ses muscles s'étaient engourdis durant tout ce temps passé en tailleur à observer la campagne grisonnante. Elle essuya sa main trempée sur le tissu de son jean brut, avant de suivre les pas de sa tante.

La grande bastide se dressa devant elles, imposante et aux allures mystiques. C'était étrange de ne pas voir les fenêtres refléter le soleil brûlant et les pierres du mur suer de petites gouttes de condensation. La grisaille rendait la demeure beaucoup plus austère qu'elle ne l'était en été.

À l'intérieur, le feu crépitait. Les flammes dansaient en plein milieu du salon et une odeur de lard fumé s'élevait dans tout l'habitat. La maison était silencieuse. Ni télévision, ni ordinateur n'apparaissaient dans ce décor ancien. Des tas de livres et revues étaient entassés sur la grande table de la salle à manger. Des couvertures recouvraient les fauteuils, où deux chats endormis profitaient de la chaleur de la cheminée. Créa s'assit à côté de l'un d'eux, provoquant bâillement et changement de position chez le félin somnolant.

« Fais-moi voir cette égratignure ? » lui pria la petite dame brune en brandissant une bouteille de désinfectant.

Sa tante avait le même chapeau de paille que sa mère. Elles le portaient souvent dès que les premiers bourgeons commençaient à s'ouvrir jusqu'aux premières pluies d'automne. Aujourd'hui, ce chapeau avait été troqué par une paire de caches-oreilles aux couleurs criardes.

La jeune fille esquissa une grimace lorsque le coton imbibé toucha la petite plaie qui surplombait son sourcil. Elle ne s'était pas encore vu dans un miroir, depuis la nuit dernière. Sur un coup de tête, elle avait sauté dans le premier bus, direction les villages alentours, puis avait marché jusqu'au petit sentier qui menait au domaine. Elle avait sonné à la cloche, qui bordait la lourde porte, aux environs de six-heures du matin. À présent, chaque mouvement lui rappelait les coups de pied s'écrasant dans sa colonne vertébrale. Elle n'osait imaginer le nombre d'hématomes bleutés qui devaient tacher la peau granuleuse de son dos, comme de petites ipomées se dessinant sur le beige immaculé.

Créa sursauta lorsque, soudainement, de grands coups furent frappés à la porte d'entrée. Un visage familier apparut derrière une crinière aussi brune que la sienne. Elle se leva brusquement, sans faire attention au chat presque allongé sur ses genoux, et s'emmitoufla dans les bras de sa mère. Elle la serait si fortement que ses muscles se mirent à trembler. Leurs reniflements étaient bruyants et leurs cœurs battaient fort dans leurs poitrines.

« Il est temps de rentrer à la maison, lui susurra sa mère. Ma fille, ma toute petite fille. »



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Crépuscule sous les étoilesWhere stories live. Discover now