CHAPITRE VINGT TROIS

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« C'était l'heure indécise où le jour et la nuit glissent l'un sur l'autre sans qu'aucun ne l'emporte. »

Éric Emmanuel Schmitt - L'évangile selon Pilate

*

Le tic-tac de l'horloge hypnotisait les pensées de Créa. C'était comme une mélodie trop répétitive, qui lorsqu'elle s'arrêtait, continuait de résonner dans sa tête. Habillée d'un vieux bas de jogging, la jeune fille était affalée sur le canapé. Elle essayait de dormir, mais le bourdonnement l'en empêchait. Dehors, le soleil était encore haut dans le ciel et les volets fermés ne masquaient pas assez les cris joyeux des écoliers qui rentraient chez eux. Elle attrapa un coussin et l'écrasa sur son visage dans un râle de désespoir.

Elle n'avait rien d'autre à faire qu'attendre ici. D'un côté, l'université, c'était fini pour elle. Avant même de connaître les résultats des examens de décembre, elle savait qu'il lui serait impossible de rattraper son retard. D'un autre, elle n'avait pas encore contacté Judi. Il ne savait pas qu'elle était rentrée. Elle n'osait pas. Ils s'étaient trop éloignés pour qu'un message efface les quatre derniers mois.

Le bip sonore de son téléphone retentit pourtant. Le son était lointain. Péniblement, elle se leva tandis que la couverture, dans laquelle elle s'était emmitouflée, tomba à ses pieds. La boule de poils noirs, qui dormaient à ses côtés, remua d'agacement, s'étira puis fuit à grandes enjambées sur le balcon. Le pas lourd et lent elle se dirigea vers sa chambre. Sur son lit aux draps fleuris, le petit objet trônait. L'écran affichait deux nouveaux messages.

« Ce soir, fête au lac. Ça te dit ? »

C'était sa mère. Créa sourit en le lisant. Depuis qu'elles étaient de retour à la maison, la bonne femme se démenait pour amener un peu plus de gaieté dans la monotonie de ces derniers jours. Elle avait même proposé de déguiser leur chat noir en Roi mage pour l'épiphanie.

Elle ouvrit la deuxième bulle de discussion. C'était Grégoire.

« J'ai retrouvé la petite photo dont tu ne te sépares jamais dans la machine à laver le linge. Tu devrais peut-être venir récupérer tes affaires. » 

Ses sourcils se froncèrent et une petite ride se dessina sur son front. Une moue désolée se dessina sur son visage, avant que ses lèvres se mettent à trembler. Elle ne contrôlait plus ses muscles faciaux. Sa main s'abattit brutalement, dans la précipitation, sur le mur à côté, comme pour se soutenir au cas où elle s'effondrerait. Puis, dans un cri tranchant, elle se recroquevilla sur le plancher.

Ses yeux s'étaient embués et elle se détestait de pleurer, ainsi. Les choix de la jeune fille n'étaient pas toujours les plus réfléchis, pourtant il avait été nécessaire qu'elle lui demande de lâcher prise, de l'abandonner. Non pas de l'abandonner en plein milieu d'une foule, mais de lui permettre de se retrouver après tout ce temps passé loin de chez elle. Créa s'était perdue et elle avait failli se perdre définitivement.

*

La petite voiture de sa mère s'arrêta près d'un fossé, à quelques mètres du parking plein à craquer. Les graviers crissèrent sous les roues lorsqu'elle freina brusquement. Elles descendirent toutes deux en même temps, claquant la lourde portière derrière elles. Les pas de sa mère étaient rapides et assurés, tandis que Créa suivait derrière, la démarche un peu plus timide. Elle sentait une boule de stress lui réchauffer la poitrine à l'idée de croiser Judi, pourtant il était bel et bien la raison principale de sa présence ici.

L'obscurité n'avait pas encore recouvert entièrement les lieux. On apercevait encore le reflet des pins dans l'eau paisible du lac. Une musique country s'élevait de l'autre côté de la rive, où un bar, habituellement fermé en hiver, faisait le plein. Une baraque à frites avait été installé pour l'occasion. Tout cela ressemblait à un avant-goût d'été, pourtant l'air humide et froid rongait les fêtards jusqu'à la moelle.

La mère de Créa l'entraina au cœur des festivités, où jeunes et vieux étaient réunis autour d'un grand feu de camp. La jeune fille se souvenait de cet événement et des nombreuses fois où ses parents l'y avaient emmenée lorsqu'elle était plus petite. Il y avait encore son père à l'époque. Mais, le divorce étant inévitable, ils cessèrent de se réunir en familles autour du feu de joie, qui annonçait prospérité à la nouvelle année.

Elles s'approchèrent de la petite cabane en bois qui servait les bières et trinquèrent, tandis que tous les lampions positionnés sur la rive s'allumèrent un à un. La nuit était tombée et c'était à présent le reflet des flammes qui dansaient sur l'eau. Une piste de danse avait été improvisée où de jeunes adultes se déhanchaient sous le regard rieur des plus âgés. Les enfants, eux, formaient un petit cercle aux bordures du lac et s'amusaient à faire des ricochets.

« Dis donc jeune fille, ça faisait un moment qu'on ne t'avait pas vu ici », s'exclama une vieille dame en étreignant la génitrice de Créa.

Celle-ci présenta alors sa fille en un grand sourire, puis avides de se raconter les dernières nouvelles, elles disparurent derrière la foule.

Vingt-deux heure approchait et les premières lumières apparurent. Rapidement, elles éveillèrent la curiosité des fêtards et un long silence s'abattit dans le vallon. Les lanternes s'envolaient une à une, majestueuses et avec grâce, dans la nuit noire. Elles étaient le symbole de toutes les prières des habitants du patelin, qui s'élevaient vers les cieux pour qu'on les entende. Des petites étoiles, provenant de la terre, qui venaient combler les espaces vides du ciel.

« Je crois qu'ils ont déjà entendu ma prière là-haut », murmura une voix derrière l'oreille de la jeune fille.

Elle tremblait de froid, claquait des dents, mais une brise d'été chatouilla son visage lorsqu'elle l'aperçut. Il était là, juste là, le regard pétillant et un sourire béant. Ses cheveux bruns étaient plus longs, ils tombaient désormais sur ses sourcils. Sa carrure s'était développée, il avait les épaules plus larges. Il avait l'air plus sûr de lui, plus confiant. Créa eut soudain l'impression de s'écraser face à lui. C'était pourtant Judi, son Judi.

Elle se résolut à laisser parler son cœur et lui sauta au cou. Elle agrippa d'une main l'arrière de son anorak et le serra fermement. Il sentait bon le shampoing et la lessive. De son autre main, elle chercha le contact avec la sienne. Elles se joignirent instinctivement, brûlantes l'une comme l'autre.

Doucement, il mît fin au brasier qui commençait à naître, lorsqu'il se rappela de la présence de Romane à leurs côtés. Toujours le visage illuminé, il recula auprès de la jolie brune qui les observait sans bouger.

« Ravie de te revoir, Crépuscule », articula-t-elle.

Créa lui sourit poliment, mais elle ne pouvait ignorer cette même main qu'elle tenait quelques secondes plus tôt, entrelacée dans celle de la sœur de Lutine.


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Hello !
Ça y est, on y est, les retrouvailles ! Je vous aurais fait languir, mais c'est pour mieux apprécier ce moment. En revanche, je ne suis pas très douée avec les passages trop émouvants comme ceux-là. J'ai essayé de les faire court, j'espère qu'ils ne paraissent pas trop pathétiques. Dites-moi ce que vous en pensez.

Crépuscule sous les étoilesWhere stories live. Discover now