Chapitre sept (2)

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Quelques instants plus tard, deux pintes posées devant nous, je reprenais la parole :

― On est où ? C'est quoi ici ?

Il fit un demi-tour sur son siège pour surplomber la foule avant de me répondre, penaud :

― Un bar tenu par d'anciens flics. C'est pour ça que tout le monde peut rester en uniforme. C'est pour ça aussi que c'est ouvert 24h/24.

― Est-ce que c'est vraiment légal ?

Non pas que ça m'inquiétait vraiment ; mais si je pouvais dénoncer ce business et me débarrasser de l'importun, c'était une combine bonne à connaitre.

Il me jeta un regard en coin, sourcil haussé, comme si j'étais la dernière des empotées, incapable de camoufler la moindre de mes pensées.

― Qu'est-ce que ça peut bien vous faire ? Vous voulez faire fermer mon repère pour éviter que je ne traque d'autres jeunes femmes ?

Au fond, même si la planque serait idéale pour séduire et embobiner des proies potentielles, je ne le sentais pas menaçant. Enfin, pas dans ce genre-là. Ça n'était donc pas tant pour ses futures victimes que pour le plaisir de l'emmerder que je me renseignais.

Une esquisse de sourire apparut sur ses lèvres lorsqu'il comprit le fond de ma pensée.

― C'est un repère de flics. Vous vous doutez bien qu'ils ne viennent pas contrôler l'endroit alors que tous s'en servent allègrement.

― Et l'uniforme alors ? Tout ce beau monde est encore en service ? Un petit whisky et hop ! on fait pousser les sirènes ?

S'il ne saisissait pas l'insolence de mes mots, il ne pouvait rater le dédain inscrit sur mes traits.

― Vous êtes actuellement en service, vous ? Est-ce que vous êtes venue jusqu'ici en conduisant ?

Le ton goguenard l'avait quitté et, à son tour, il exprimait toute la désapprobation que je lui inspirais.

― Ne vous fiez pas aux uniformes, vous devez savoir mieux que personne qu'ils nous protègent de la réalité.

Il sembla soudain animé par des dizaines de démons. L'expression de son visage s'était modifiée et son corps entier paraissait tendu. Sans savoir quelles craintes l'habitaient, je constatais que nous étions sensiblement régentés par les mêmes atrocités.

Cam avait d'ailleurs toujours réfuté cet argument de ma part. Il ne comprenait pas pourquoi ma tenue m'était si importante ni pourquoi, parfois, il m'était si difficile de la quitter. Elle agissait comme un rempart entre les ignominies que je rencontrais en tant que professionnelle et ma vie aseptisée.

― Tant qu'on le porte, on n'a pas à assumer l'horreur de nos interventions, reprit le pompier.

Après un bref silence, je sentis le poids de son regard valser sur mon corps.

― Je vous ai dit qu'un enfant était mort ce soir, mais je ne vous ai pas dit comment. Croyez-moi, ces hommes auraient préféré l'ignorer eux aussi.

Seigneur, ce type était sacrément intense.

Sans que je ne le décide, des situations toutes plus pénibles les unes que les autres s'imposèrent à mon esprit. La brève image que j'avais de cet enfant se matérialisa pour le rendre réel. Un accident de la route ? Je n'y croyais pas, ça n'aurait pas affaiblit cette équipe de guerriers au point qu'elle n'en vienne à se réfugier ici. Une mauvaise rencontre, peut-être ? ou bien... Ô Dieu, rien de plus innommable que la violence parentale. Je fermais les yeux sous l'afflux de fausses informations qu'envoyait mon subconscient. Un poids se logea dans le creux de ma poitrine lorsque j'imaginais le petit, seul et résigné. Pas l'ombre d'un espoir en vue alors que ceux censés le protéger le malmenaient.

Mariage en satin noirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant