Chapitre trois

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Si les semaines pouvaient parfois défiler en un rien de temps, mon téléphone, lui, me rappelait toutes les dix minutes que j'étais en retard.

« J'espère que t'es pas aussi lente quand il s'agit de sauver un patient »

Septième message en moins d'une heure. Comme à son habitude, Romane ne s'encombrait pas d'y mettre les formes.

Pour sa défense, une semaine s'était écoulée depuis notre dernier échange et je savais que son isolement commençait sérieusement à lui peser.

Tout comme le mien et pour le peu que j'en savais, son environnement familial semblait l'avoir bousillée. Fallait dire qu'évoluer au sein d'un foyer déstructuré n'aidait en rien à bâtir de solides fondations. Alors que la majorité des enfants démarrait leur vie dans un cocon de bien-être, ce climat propice à la sérénité nous avait été refusé, grignotant habilement notre estime personnelle. Si nous tentions tant bien que mal de nous reconstruire depuis, certains restes, eux, semblaient immuables. Comme figés dans le temps.

Déçue par les faux-semblants qu'adoptait chaque nouveau passager dans sa vie, Romy avait juste cessé d'y croire. Elle s'était lassée puis renfermée. Dans un désir naturel de protection, sa première mesure avait été le renoncement. Depuis, son choix la faisait s'embourber dans une solitude sans précédent, tentant vainement d'annihiler son besoin d'affection.

« Sérieux Charlotte, magne toi. »

Une virgule, un point. Son impatience flagrante m'indiquait d'accélérer la cadence.

Après avoir tourné à l'angle d'une rue, la voix faussement lascive du GPS indiqua mon arrivée prochaine. Instinctivement je levai les yeux, prête à reconnaitre les alentours.

Devant moi, le panneau lumineux annonçant le cabaret trônait fièrement, aguicheur. Tel un phare dans la nuit il semblait guider nos pas, suscitant l'intérêt libidineux des passants. Son rôle fonctionnait à la perfection et m'attirait dans une contemplation sans faille. En fait, il officiait tant et si bien qu'avant même d'entrer en ces lieux, toute la sensualité qu'ils dégageaient m'atteignait de plein fouet.

Une fois passé le premier vigile, la beauté du Red Lion se révélait. Digne décor présagé par sa noble enseigne, le cabaret offrait une atmosphère spectaculaire.

Partout, le rouge primait, fervent paradoxe des sentiments contradictoires. Hymne à la passion et à la luxure. Il apparaissait sur les vieux fauteuils capitonnés comme sur les nappes qui habillaient chaque table. De modestes photophores dorés conféraient à l'endroit son caractère intime, contrastant avec la moquette écarlate.

Les alcôves dressées le long des murs apportaient la touche de lascivité nécessaire à un tel endroit. Séparées par de longs rideaux de velours carmin, elles offraient aux couples aventureux la sérénité d'une étreinte préservée.

Sur toute la surface du plafond flottait des tentures blanches semblables à des voiles de bateau. La douceur que dégageaient ces vagues permettaient de nuancer le décor sulfureux.

Pour autant, rien de vulgaire par ici. Tout était soigneusement pensé par Monsieur David, le propriétaire, pour offrir à ses clients le meilleur voyage possible : la distance Terre – Lune en moins de deux heures de show.

― Salut Gamine, tu cherches ta copine ?

La paluche qui se posa lourdement sur mon épaule mit un terme à ma contemplation. Alexis ou Alexandre – je ne me rappelais jamais son prénom – s'était posté à mes côtés, l'air faussement soucieux. Depuis aussi loin que je m'en souvienne, il s'assurait du bon déroulement des soirées et prenait à cœur d'expulser les fauteurs de troubles. Il m'arrivait même de soupçonner Monsieur David de l'avoir assigné à ma sécurité.

Mariage en satin noirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant