Chapitre quatre

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― Un whisky. Sec.

L'inquiétude prenant mon ventre en otage, la politesse fût vite relayée au second plan. Pas de s'il-vous-plait, encore moins de merci. Juste la délivrance d'un alcool fort. Vite. J'aurais tout le temps plus tard de m'inquiéter de mon inélégance.

― Vous ne souhaiteriez pas un cocktail à la place, Mademoiselle ?

Un « cocktail » ? N'avait-il pas vu l'état déplorable dans lequel ses concoctions avaient plongé Romane ? Je relevai le nez du comptoir et dévisageai le barman importun. Tout dans son attitude transpirait la sollicitude, comme si le type pensait réellement me rendre service en orientant mon choix.

― Un cocktail, hein ? Vous croyez que j'vais devenir velue si je bois la boisson des mâles ?

Ma réplique sembla le laisser pensif, comme intrigué par la réflexion en elle-même. Profitant de son intérêt pour la question, je me penchais par-dessus le bar afin de récupérer une bouteille ambrée.

― Pour information, ma pilosité n'a rien à envier à la vôtre.

Reprenant ses esprits, il m'apporta un verre en forme de tulipe dans lequel il versa un peu du liquide avant de récupérer sa bouteille. Le breuvage m'enivra de sa seule fragrance. Au moment où mes lèvres allèrent s'imprégner du contenu, le scepticisme qu'affichait le garçon sur son visage m'arrêta.

― Vous êtes un piètre vendeur, sérieux, soufflai-je.

― C'est juste... vous semblez sur le point de le boire cul-sec. Prenez le temps de le goûter, le sentir, observez-le. Le premier cadeau d'un bon whisky, c'est avant tout son parfum. Et sa...

― Vous m'ennuyez. Je veux juste boire un coup, c'est possible ?

― Bien sûr. Désolé. Mais vous n'imaginez pas comme il m'est difficile de... pardon.

Le bougre adopta alors une tronche de déterré. Je pourrais avoir tué sa mère devant lui qu'il ne parviendrait pas à refaire cette expression désabusée. Délaissant la vision du serveur abattu, je plongeais dans la contemplation du breuvage dont la couleur m'attirait tant. Un lent mouvement du poignet fit se créer un tourbillon majestueux qui s'immobilisa aussi rapidement qu'il n'était apparu.

Outrepassant les conseils de l'expert, j'avalais une lampée du nectar. Elle n'eut pas même le temps de déposer sa saveur sur mes papilles qu'un reflux instinctif me fit recracher son ensemble.

― Mais c'est dégueu votre truc ! Vous ne pouviez pas me prévenir ?

Un pan de ses lèvres se souleva alors qu'il tentait de réprimer un petit rire. Voilà que j'amusais la galerie, maintenant.

― Bon. Il vous resterait pas de ce... truc, que vous avez filé à ma copine ? demandai-je au garçon en désignant Romy d'un mouvement las.

Cette dernière se trémoussait éhontément au centre de la piste, accaparant l'attention des spectateurs et les regards désabusés des danseuses, se moquant royalement du qu'en-dira-t-on. Exactement ce que je me souhaitais pour ce soir.

― Regardez derrière moi, quémandai-je subitement.

Son attention bifurqua sans savoir que voir, obéissant sagement à la cliente pas commode que j'étais.

― Cherchez la nana dans une robe d'escorte. Un bon 95C à mon avis. Si elle a des cheveux étincelants et pas une seule fourche aux pointes, c'est la bonne. Vous voyez ? ben le type collé à ses basques, c'est mon ex.

La dernière phrase prononcée du bout des lèvres parvint tout de même aux oreilles attentives du professionnel. Il arqua un sourcil, interloqué par un élément inconnu, avant de reconcentrer son attention sur moi et de me reluquer.

Mariage en satin noirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant