L'oubli

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Janvier 1987.

Se souvenir était devenu l'obsession de Perrine. Se souvenir pour mieux se battre. Marie-Ange ne semblait pourtant pas disposée à l'aider. En tout cas, pas en ce sens. Le risque de la voir à nouveau sombrer était tel qu'elle ne la sentait pas prête à entendre la vérité. Chaque jour barré sur le papier glacé du calendrier ressembla alors trop souvent au précédent pour Perrine. L'ennui la guettait. Les visites régulières de son amie n'y changeaient rien. Ce n'était pourtant pas faute de lui raconter sans cesse de nouvelles anecdotes amusantes. L'énergie dépensée en la matière était considérable et chacun y mettait du sien dans le groupe.

Perrine n'avait pas encore retrouvé tous les morceaux du puzzle que constituait cet après-midi d'anniversaire quand elle reprit les cours. Il lui manquait encore l'essentiel, la raison pour laquelle elle avait quitté la fête brusquement. Elle espérait bien le découvrir et savait que ce n'était pas en restant cloîtrée chez elle qu'elle y parviendrait.

Les grandes portes en fer noir du Lycée lui parurent alors bien plus accueillantes qu'à l'ordinaire, quand pour la première fois depuis un mois, elle en franchit le seuil avec ses amis. Trop heureux de la retrouver, ils étaient tous venus la chercher chez elle ce matin-là. « Les épreuves sont peut-être là pour nous aider à mieux apprécier le bonheur simple d'un tel moment, » avait-elle pensé en les trouvant devant sa porte. Seul Yvan manquait à l'appel, il avait préféré la retrouver seul, lui avaient dit les autres en constatant sa déception. Elle le trouva un peu à l'écart, dans un coin du préau. Visiblement, le mur contre lequel il était appuyé devait supporter tout le poids de son angoisse, tant il lui parut vulnérable. Tous ces jours à l'attendre en appréhendant ce moment, avaient fini par le condamner à cet état pour le moins inhabituel.

D'un regard de côté à son amie, Marie-Ange lança le défi. Vas y ! Supplièrent ses yeux. Il est là, il t'attend.

Une question demeurait pourtant dans l'esprit de Perrine. Etait-il responsable de ce qui lui était arrivé, si oui, jusqu'à quel point et pourquoi ?

La foule massée devant elle s'évapora soudainement quand la sonnerie retentit. Lui, était là immobile. Elle, paralysée par l'émotion et l'inquiétude restait plantée au milieu de la cour. Il avança jusqu'à elle d'un pas lent et mal assuré. Après un instant d'hésitation il posa sa main sur la joue amaigrie de la jeune fille. C'était la plus touchante caresse qu'il pouvait lui offrir en un moment pareil. Par quelle magie trouvait-il toujours le geste auquel elle n'osait croire ?

- Pardonne-moi, lui dit-il simplement.

A l'évidence, le doute n'était plus permis. Il ne remettait même pas en cause sa responsabilité. Mais peu lui importait, il était déjà pardonné. Quelle que fût sa faute et au mépris des convenances, rien n'aurait su lui faire oublier l'amour sans borne qu'elle lui portait.

Elle ne le quittait plus des yeux, sa main s'empara doucement de celle du garçon et ses lèvres en baisèrent la paume, puis les doigts. Le sortilège était envoûtant, leurs doigts se croisèrent, se serrèrent, délivrant la puissance de leurs sentiments. Sous leurs yeux mi-clos, l'iris inondé troubla leurs regards...Yvan sut qu'elle l'aimait encore.

- Tu portes toujours mon bracelet ! lui fit-elle remarquer.

- Je ne le quitte jamais.

Le ton autant que le regard, étaient tels qu'elle crut de nouveau ne plus pouvoir contenir ses larmes. Elle eut envie de lui dire son amour mais bredouilla quelque chose d'à peine compréhensible juste avant de se reprendre.

- Je, je t'...te pardonne.

« Et voilà, pensa-t-elle, c'est raté. » Quel manque d'assurance ! N'y arriverait-elle jamais ?

Un amour à abattreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant